Luc Briand

LE BRASSARD
Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus et officier nazi

 

 

256 pages, 19 euros

26 août 2022

 

 

REVUE DE PRESSE

La Dordogne Libre, 27 janvier 2023

Le sombre destin d'Alexandre Villaplane retracé par Luc Briand

Par Philippe Jolivet

 

Luc Briand a récemment fait paraître aux Éditions Plein Jour, Le Brassard, Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus et officier nazi.

Alexandre Villaplane n’est pas un nom inconnu en Dordo­ gne puisqu’il s’y est triste­ ment illustré par des massacres en 1944. C’est à ce personnage et à son parcours hors du commun, que Luc Briand, qui avait déjà publié en 2018, La revanche de la guillo­tine. L’affaire Carrein, a consacré un livre. Magistrat de 45 ans, dont le dernier poste en date était à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, Luc Briand a passé son enfance jusqu’au collège à Coulounieix­-Chamiers. « J’ai découvert le per­sonnage d’Alexandre Villaplane totalement par hasard, au fil de mes lectures. Et c’est de voir qu’il avait été à la fois capitaine de l’équipe de France et avait fini comme SS – un destin incroyable –, qui m’a donné l’envie de creuser, explique Luc Briand. Et le fait qu’il ait sévi en Périgord a piqué encore davantage ma curiosité et m’a don­ né envie de revenir sur des terres que j’avais connues. »

 

Un jeune surdoué du football

 

Luc Briand s’est alors plongé dans les archives judiciaires de la pré­ fecture de police de Paris ainsi que dans les journaux locaux, natio­ naux et clandestins de l’époque pour retracer le parcours d’Alexandre Villaplane. Cette bio­graphie commence le 24 décem­bre 1904 dans une rue d’Alger. On suit dans ce livre le parcours de ce jeune, très doué pour le football, qu’il pratique dès l’âge de 12 ans. « Son talent est tel qu’il arrive en métropole à 17 ans pour jouer au club de Sète, qui était un grand club à l’époque », explique Luc Briand. Alexandre Villaplane con­naît une carrière éclatante qui le mène en équipe de France dès 1925 et au Racing club de Paris, l’un des plus gros clubs de la capi­tale en 1929.

Puis c’est l’apothéose de sa carrière avec la Coupe du monde de 1930 en Uruguay où Villaplane est capi­taine de l’équipe de France. La pre­mière moitié du livre décrit cette ascension sportive et la seconde, la déchéance du personnage. « Lors­qu’il est à Paris, il commence à fré­quenter le milieu de la nuit et des paris truqués, et se fait licencier du Racing pour ces raisons, décrit Luc Briand. À partir de là, on le re­trouve dans de nombreuses com­ bines et procès en justice jusqu’à ce que la guerre arrive. »

 

Un profil de petit voyou intéressant pour la Gestapo

 

Pendant l’Occupation, son profil de petit voyou est repéré par la Gestapo française qui le recrute. Il est spécialisé dans le trafic. « Il re­père des gens qui cherchent à manger à leur faim ou des Juifs souhaitant financer leur fuite aux­ quels il propose de racheter leur or à un tarif intéressant, tout en les dépouillant avec ses complices », décrit l’auteur.

Son avidité le mène toujours plus loin. « Il suit le chef de la Gestapo qui s’engage encore plus auprès des Allemands, en devenant SS, par discipline et par appât du gain, espérant bien se livrer à des rapi­nes. » Pour cela, il doit demander la nationalité Allemande et faire allégeance à Hitler.
Une fois dans la SS, avec d’autres membres de la Gestapo, il se re­trouve à la tête d’une des brigades nord africaines. Des unités créées par les Allemands en manque de personnel en France, pour mater les maquis qui sont de plus en plus actifs à l’approche du débarque­ment.

C’est ainsi qu’on le retrouve à par­tir de mars 1944 en Dordogne à la tête de la brigade nord africaine, tristement célèbre pour les massa­cres qu’elle a commis, notamment  sur les secteurs de Brantôme, Saint­-Pierre­de­-Chignac et Ber­gerac, ainsi que pour ses pillages sur Périgueux.

Au moment du débarquement, sentant que le vent tourne, il s’en­ fuit et tente de se cacher à Paris, mais est finalement arrêté le 24 août 1944.

« Il va être jugé à partir du 1er dé­ cembre suivant et des victimes de Dordogne font le déplacement jusqu’à Paris pour pouvoir témoi­gner. Ce sont ces témoignages qui vont causer sa perte et le mener au peloton d’exécution le 27 décem­bre 1944. » Luc Briand a d’ailleurs retrouvé une des victimes de l’épo­que, M. Daillat, dont le témoignage figure dans le livre.

Un parcours guidé par l’appât du gain, « c’est le début du profession­ nalisme dans le football, sans au­ cun accompagnement des spor­tifs. Et l’argent lui a tourné la tête », explique Luc Briand.

Paris Match.fr, 4 décembre 2022

Alexandre Villaplane, le Bleu qui jouait dans le camp des collabos

Par François Lestavel

 

De héros à salaud, de champion à la honte nationale... il aurait dû rester dans les annales du foot français pour ses exploits sur le terrain, lui qui fut le capitaine des Bleus lors de la toute première coupe du monde disputée en Uruguay en 1930. Pourtant, Alexandre Villaplane finit sa courte vie dans l’opprobre, à 40 ans, fusillé le 27 décembre 1944 comme collabo et traître. Comment, et surtout pourquoi, le champion né à Alger, dans le quartier de Belcourt, s’est-il égaré au point de rejoindre les rangs de la sinistre gestapo française de Lafont et Bony, qui régnait sur Paris pendant l’Occupation, au 93 rue Lauriston ?

 

[...]

 

Il a commandé le peloton d'exécution du père de Roland Dumas

 

Dans son livre tout aussi passionnant, « Le Brassard », Luc Briand porte un jugement autrement plus sévère, et rappelle qu’Alexandre Villaplane ne s’est pas contenté de piller les biens des habitants. Il a fait torturer par ses sbires ceux qui ne lui livraient pas ce qu’il voulait : argent bien sûr, mais aussi réseaux de résistance. Pire, il a commandé en personne le peloton qui exécuta des prisonniers politiques, dont le résistant George Dumas... le père de Roland Dumas.

 

L’approche de Luc Briand, moins psychologique que celle de Frédéric Massot, adopte le style analytique de l’auteur américain Erik Larson. Jusqu’à trouver des détails frappants, comme le fait que Villaplane, gamin des quartiers populaires d’Alger, a sans doute joué sur le même terrain que son aîné, un jeune pied-noir nommé Albert Camus ! Luc Briand retrace aussi ses escroqueries minables – le vol d’un stock de chemises d’un commerçant – ou insensées – essayer de refourguer de faux lingots d’or aux nazis ! – tout en brossant, lui aussi, l’histoire d’un sport dont on est encore en train de fixer les règles approximatives.

En 1934, pas d’avion pour les joueurs de l’équipe de France, on se rend en bateau jusqu’en Uruguay. Certains coéquipiers de cette équipée sud-américaine pourtant n’ont pas coulé, au contraire de Villaplane, et ont fait d’autres choix que lui. A commencer par Etienne Mattler, le défenseur du FC Sochaux, résistant et déporté, sélectionné à trois coupe du monde et qui fut capitaine des Bleus à 14 reprises. Preuve que les footballeurs sont bien des hommes comme les autres... capables du meilleur et du pire !

Le Parisien.fr, 3 décembre 2022

Du football aux brigades SS, l’infâme destin du premier capitaine français en Coupe du monde

Par Eric Michel

 

La France a disputé le premier match de l’histoire de la Coupe du monde le 13 juillet 1930 face au Mexique. Son capitaine s’appelait Alexandre Villaplane. Il tomba ensuite dans la déchéance, fit fusiller des dizaines de civils, mitrailla lui-même des résistants avant de terminer sa sordide existence devant un peloton d’exécution en décembre 1944.

 

Il est 10h15 et il fait un froid glacial ce 27 décembre 1944. Au fort de Montrouge à Arcueil, trois hommes sont attachés les mains dans le dos à des poteaux. Ils refusent qu’on leur bande les yeux pour voir la mort en face. Condamnés à mort pour haute trahison, intelligence avec l’ennemi, meurtres et actes de barbarie, ils vont être fusillés.

Il y a là Henri Lafont, une brute immonde, ancien chef de la Gestapo française dans la sinistre rue Lauriston. Il y a aussi son adjoint Pierre Bonny, ancien meilleur flic de France dans les années 1930, célèbre pour avoir enquêté sur les affaires Seznec et Stavisky avant de plonger tête la première dans la collaboration la plus abjecte.

 

Le troisième lascar que la mort attend est petit, 1m66, et sec. Il est « Untersturmführer » (sous-lieutenant) dans la SS et s’appelle Alexandre Villaplane. Il a voulu être naturalisé allemand quelques semaines plus tôt. Il est un démon zélé de la Gestapo, parti volontaire à la chasse aux résistants en Dordogne : « Il arrachait les bijoux des cadavres et je l’ai vu les poches pleines de bagues dégoulinantes de sang. Le lieutenant Alex se pavanait dans un uniforme allemand, saluait à l’hitlérienne et traversait Périgueux dans une Citroën criblée de balles, il l’avait volée aux maquisards et s’en glorifiait », a raconté un témoin lors de son procès.

 

« Villaplane a incontestablement eu du sang sur les mains, il a tué lui-même plusieurs résistants au printemps 1944 et en a fait fusiller d’autres. Il était un vrai monstre et à son procès, il n’avait absolument aucune circonstance atténuante », raconte Luc Briand, auteur du livre « Le Brassard. Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus et officier nazi », publié aux éditions Plein Jour.

 

Fusillé en face de son ancien lieu de gloire, le stade Buffalo

 

Le destin d’Alexandre Villaplane le renvoie étrangement, à ce dernier instant, à sa première vie. De l’autre côté de la rue, en face du fort de Montrouge, se dresse le stade Buffalo, sorte de Parc des Princes de l’époque. À la croisée des années 1920-1930, 20 000 personnes sont venues plusieurs fois l’acclamer dans ce stade. Quand il était encore adulé, lorsqu’il était le capitaine de l’équipe de France de football.

 

Oui, le tortionnaire à la botte du nazisme et du régime de Vichy a été le footballeur le plus populaire et aimé de son temps : « Villaplane, reprend Luc Briand, a été le capitaine français lors de la première Coupe du monde en 1930. Il a aussi participé aux Jeux olympiques en 1928. Il était un très bon joueur. Avec 22 sélections, il était le plus expérimenté des Bleus qui ont disputé le premier match de l’histoire de la Coupe du monde en Uruguay contre le Mexique (4-1). »

 

C’était le 13 juillet 1930. Ce jour-là, Villaplane, né le 12 septembre 1905 à Alger, a 25 ans et 207 jours. Il est le plus jeune capitaine français de l’histoire, un record qu’il garde jusqu’au 26 juin 2018 lorsque Raphaël Varane prend le brassard contre le Danemark au Mondial en Russie.

 

« Personne ne s’en souvient car le football français essaye d’oublier Villaplane, pense Luc Briand. Sa fiche existe bien sur le site de la FFF mais elle est truffée d’erreurs. C’est difficile d’admettre qu’un international est allé aussi loin dans l’abject. La France n’a pourtant pas à rougir de son équipe de 1930 : elle était à l’image du pays. Elle a abrité un monstre absolu mais aussi un vrai héros, Étienne Mattler, qui a été un résistant admirable. Pendant la guerre, le football ne s’est jamais compromis non plus avec la collaboration à titre collectif. Les gens de Vichy n’aimaient pas le football, qui n’a pas été un outil de propagande. »

 

Sa gloire commence en même temps que sa lente dérive
 

Comment alors Alexandre Villaplane, milieu offensif de talent, a-t-il pu tomber aussi bas dans le crime ? La racine remonte à son enfance pauvre à Alger. Le futur collabo trouve son seul réconfort dans un jeu qui commence à être populaire, le football.

 

Il arrive à Sète (qui s’écrit encore « Cette » ) juste après le premier conflit mondial et encore junior, il dispute la finale de la Coupe de France en 1923. Il entre en équipe de France en 1926. Sa popularité est importante. Il fait souvent la une de L’Auto, l’ancêtre de l’Équipe. Sa gloire commence en même temps que sa lente dérive.

 

« À ce moment-là, le sport professionnel n’existe pas, explique son biographe. Pour vivre, les joueurs se font payer des dessous-de-table et Villaplane est un des premiers à en bénéficier et grassement. Il entre dans son côté obscur quand il arrive à Paris pour jouer au Racing en 1929. »

 

Avidité, tricherie, prison...

 

Il fréquente alors les champs de courses, les bars miteux, les filles faciles et les relations louches. Son fort accent du sud attire d’emblée la sympathie. « C’est pourtant un personnage qui durant toute sa vie n’a raisonné que pour l’argent, par pure avidité et son propre intérêt, sans jamais se soucier des autres », reprend Luc Briand.

 

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En 1940, un court séjour à Fresnes pour recel le fait rencontrer un voyou notoire et dangereux : Henri Lafont. Il reste lié jusqu’à la mort à ce triste sire. Devenu un sbire de la Gestapo, Lafont recrute Villaplane comme homme de main. Au début, il se « contente » de piller, monter des trafics en tous genres sous la protection de Vichy et de mener la grande vie dans le Paris allemand.

 

Au printemps 1944, l’ancien capitaine est un criminel de guerre

 

Son avidité n’a pas de limite, au point qu’il lui arrive d’arnaquer les Allemands à ses heures perdues : « Il est invité aux meilleures tables où son aura d’ancien joueur de football charme encore quelques curieux qui lui demandent de raconter. Il y croise Maurice Chevalier et René Bousquet », glisse son biographe.

 

[...]

 

La cupidité, toujours : « Villaplane était un monstre mais pas un imbécile, confie Luc Briand. Il a senti le vent tourner. Le Débarquement devenait imminent et il lui est arrivé d’épargner quelques personnes importantes. Pas par bonté d’âme, il en était incapable. Juste pour que celles-ci, si ça tournait mal pour lui, puissent témoigner en sa faveur à la fin de la guerre. »

 

Mais il est trop tard, plus personne ne peut le sauver. Alexandre Villaplane est arrêté en août, jugé en décembre et condamné à mort à 39 ans. « La vie d’Alexandre Villaplane ne révèle aucune contrainte ; nul destin, nulle autorité extérieure ne l’a conduit dans ce monde des petits trafics qui causera sa perte, conclut son biographe. Comme explication de cette déchéance, il n’y a rien de plus que l’avidité grandissante d’un homme qui rencontrait la notoriété, côtoyait les puissants. »

Midi Libre, 21 novembre 2022

Le Brassard de la honte

Par Luc Crespon-Lherisson

 

Coupe du monde.

Grandeur et décadence de Villaplane, capitaine de l’équipe de France.

 

Mercredi 27 décembre 1944, fort de Montrouge, en banlieue parisienne. Alexandre Villaplane s’avance vers son triste sort, il s’apprête à être fusillé, coupable d’avoir collaboré activement avec l’occupant nazi. En ce froid matin, il se rappelle probable- ment que quatorze ans plus tôt, il embarquait sur le Conte Verde en direction de l’Uruguay, entraînant avec lui l’équipe de France de football, dont il est le capitaine, vers la première Coupe du monde de l’histoire.

Car avant de devenir un officier nazi, Alex Villaplane a eu une au- tre vie, celle d’un footballeur brillant, qui a traîné ses cram- pons dans les clubs de notre région. Natif d’Alger, le jeune homme se révèle à Sète dans les années 20, puis Vergèze ou en- core le Sporting Club de Nîmes.

 

Cadre des Bleus

Villaplane est repéré et devient rapidement un cadre de la sélection tricolore. L’un des meilleurs joueurs de sa génération même. « C’est un personnage important, explique Luc Briand auteur du livre Le Brassard. Cela s’explique par son caractère, son charisme, il entraîne ses cama- rades et au moment de la Coupe du monde, c’est le plus expérimenté avec 22 sélections. » Sa carrière internationale s’arrêtera après la compétition uruguayenne, et son compteur de sélections bloqué à 25 après un ultime match contre le Chili. En moins de dix ans, Villaplane atteint des sommets, avant de perdre pied, petit à petit... « Il monte, ça culmine à la Coupe du monde de 1930, ce petit gamin venu de nulle part, pour- suit l’auteur. Et ensuite, il connaît une lente descente de 1931 à 1944. Parmi les explications que j’ai essayé de trouver, c’est qu’à l’époque un joueur foot n’avait aucun entourage, aucune structure pour envisager une reconversion. »

 

Petites combines et uniforme nazi
Il trempe d’abord dans de peti- tes combines, des histoires de paris truqués, de fraude à la loterie. « Il a un côté voyou qui se manifeste très vite, dès qu’il arrive à Sète. Il traîne dans les cafés, les lieux de vie nocturne », explique Luc Briand.
Sa fin de carrière sportive le plonge un peu plus dans le monde des petites frappes. Avant de basculer définitivement. « Il y a deux périodes de sa vie. Celle qui va jusqu’en 40-41 où c’est un petit voyou presque sympathique. Et un deuxième Villaplane qui commence à naître en 1941, qui va partir sans scrupule, et là, on a quelqu’un de fondamentalement différent. »

[...]

« Au cours des années 30, sa vie personnelle déraille, c’était la seule chose qui le retenait. Il n’a plus de repères. La seule chose après laquelle il court désor- mais, c’est l’argent », conclut Luc Briand. L’argent qui aura transformé le capitaine de l’équipe de France en un mons- tre sans vergogne. Un homme que l’histoire du football français a pris soin d’oublier.

Le Point, 21 octobre 2022

Football : quand le capitaine des Bleus s’engageait pour les nazis

Par Baudouin Eschapasse

 

Patron de l’équipe de France avant-guerre, Alexandre Villaplane s’est enrôlé par la suite dans la Gestapo puis la SS. Deux livres racontent ce sinistre parcours.
 
C'est un nom que la Fédération française de football aimerait bien faire oublier. Mais comment ? Alexandre Villaplane, né le 24 décembre 1904 en Algérie (alors française) et mort le 27 décembre 1944 à Montrouge, fut une immense star du ballon rond dans l'Hexagone, entre les deux guerres. Ce milieu de terrain passé par les clubs de Sète, Nîmes, Antibes, Nice et Bordeaux a porté le maillot bleu à 25 reprises. Il a même été le capitaine de l'équipe de France de 1926 à 1930. C'est à ce titre que la FFF lui consacre une fiche sur son site Internet.
 
Le Racing Club l'avait recruté en 1929, espérant que ce champion porterait haut les couleurs ciel et blanc de l'équipe parisienne. Ce joueur était indéniablement doué. Malgré sa petite taille (1,66 m et non 1,75 m comme précisé sur le site de la fédération), son calme et son sens de l'observation lui permettaient un placement sûr, anticipant les mouvements de l'équipe adverse. Aussi à l'aise en défense qu'en attaque, il n'avait pas son pareil pour intercepter le ballon et le redistribuer avec intelligence à ses coéquipiers.
 
echnicien inventif (on lui attribue la paternité de la tête plongeante), doté d'une énergie peu commune qui lui permettait d'arpenter infatigablement la pelouse, ce n'est pourtant pas pour ses qualités sportives qu'il a marqué la postérité. Si l'on se souvient aujourd'hui de lui, c'est surtout parce qu'il fut un collaborateur de la pire espèce. Engagé volontaire dans la Gestapo puis la SS, ses exactions lui ont valu d'être condamné à mort à La Libération.
 

Un parcours sidérant

Comment passe-t-on ainsi du statut de patron des Bleus au rang d'officier nazi ? Deux livres tentent de répondre à cette question. [...] Le second, signé par le magistrat Luc Briand, plonge dans les archives judiciaires de ses nombreux procès, pour raconter l'itinéraire d'un homme sans scrupule. Car le parcours de Villaplane est semé de rendez-vous au tribunal.

Avant même d'emmener l'équipe de France en Urugay, où fut organisée la première Coupe du monde de l'histoire en 1930, il eut plusieurs fois maille à partir avec la justice. Ce furent d'abord de petites magouilles et de menues violences avant que son casier judiciaire ne s'alourdisse à son retour d'Amérique du Sud, où l'équipe de France avait été éliminée dès le premier tour. Des pages sportives, son nom passa alors aux rubriques des faits divers.

 

En 1937, on reproche au joueur d'avoir volé le billet gagnant à la loterie espagnole ; il est ensuite mis en cause dans des affaires de courses hippiques, mais aussi de matchs de foot truqués. Mais le plus grave est encore à venir…

 

Si leurs livres ont des styles très différents, Frédéric Massot et Luc Briand s'accordent sur un point. Alexandre Villaplane a descendu une à une les marches de l'infamie, pour une unique raison : l'appât du gain. C'est le goût de l'argent facile qui l'a poussé à s'acoquiner avec plusieurs figures du grand banditisme de l'époque. D'abord à Pigalle, dont il fréquentait les bars, puis en prison. C'est derrière les barreaux qu'il sympathise, en 1938, avec Henri Chamberlin, dit Lafont, un truand analphabète qui lui présente son associé, Pierre Bonny.

 

Le duo signera sa perte. En évitant à Villaplane de retourner en prison, en 1940, pour avoir tenté de fourguer aux Allemands de faux lingots d'or, les deux hommes le conduiront à se mettre au service de l'occupant nazi. Ce n'est pas tant par idéologie, montrent Frédéric Massot et Luc Briand, que par passion du lucre que le footballeur endosse alors l'uniforme noir de la Gestapo. « Sa psychologie est tout à fait différente de celle des autres membres de son groupe », dira le procureur dans le réquisitoire qu'il prononcera lors de son procès, à la Libération.

 

Villaplane se dépeint lui-même comme un « combinard », un profiteur de guerre. Lorsqu'il intègre « la Carlingue » comme est surnommé le service d'auxiliaires français de la Gestapo, installé au 93, rue Lauriston, à Paris, c'est dans l'espoir trivial de s'enrichir rapidement. S'il traque les juifs, les torture et les livre ensuite à la mort, c'est tout simplement pour leur voler leurs biens. Peu importe que les butins, extorqués à ces familles, la plupart du temps désargentées, soient souvent maigres. Il sait qu'en alternant violence et chantage à l'espérance, comprenez en leur promettant faussement la vie sauve, il pourra soutirer à ses proies le peu de richesses qui leur reste.

 

Villaplane se montre pareillement zélé et redoutablement efficace dans la traque aux résistants (il participera notamment à l'arrestation de Geneviève de Gaulle, la nièce du Général). Mais là encore, dit-il, c'est uniquement dans le but de se faire récompenser. Financièrement. En 1943, il finira néanmoins par demander à être naturalisé allemand et prêtera serment à Hitler avant d'intégrer les troupes de la Schutzstaffel, au rang de sous-lieutenant (SS-Untersturmführer). C'est dans les rangs de la SS qu'il fera exécuter à Brantôme (Dordogne) 25 otages français en représailles d'un acte de résistance contre deux officiers allemands. Parmi les victimes de ce massacre, un certain Georges Dumas, le père du futur ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand.

 

L'anti-Camus

Né dans une famille désargentée d'origine espagnole, Alexandre Villaplana, de son vrai nom, aurait-il pu connaître un autre destin ? La question affleure à la lecture de ces deux ouvrages. L'idée selon laquelle un déterminisme sociologique l'aurait fatalement conduit à ce destin criminel ne résiste cependant pas à l'examen d'autres parcours. Dans le quartier populaire de Belcourt où Villaplane grandit, à Alger, vit ainsi un jeune homme au profil similaire au sien (il est lui aussi d'extraction modeste et grand amateur de football). Il se nomme Albert Camus et cet écrivain ne versera pas du même côté. Bien au contraire ! Alors ? À son installation en métropole en 1921, près de Sète (qu'on orthographie alors Cette), Villaplane envisage le ballon rond comme le seul moyen de sortir de sa condition. Ce sport n'offre pourtant, à l'époque, aucune perspective professionnelle. Pour constituer leurs équipes, les dirigeants de clubs ont mis en place un système dit de « l'amateurisme marron », ou du « shamateurism » comme l'appellent nos voisins Anglais. Les sportifs (officiellement « amateurs » donc) doivent accepter un emploi fictif, payé en argent liquide, pour pouvoir se consacrer pleinement au football. Le championnat de France n'existe pas encore. Il ne verra le jour qu'en 1932. Mais les paris sportifs vont déjà bon train et diverses combines vérolent nombre de compétitions.

Si une morale semble à tirer des deux biographies de Villaplane, c'est que la longue descente aux enfers de ce joueur de football s'inscrit comme la suite logique d'une accumulation de petits renoncements à l'éthique. Une issue qui, sous la plume de Luc Briand, semble annoncée dans un épisode apparemment anodin de la vie du footballeur. Un match France-Autriche qui se tint le 30 mai 1926 au stade de Colombes. Ce jour-là, un coup de tête maladroit de Villaplane l'avait conduit à marquer un but contre son propre camp à la 42e minute. Mortifié par ce geste, le joueur s'était alors caché dans les vestiaires, pendant tout le reste de la partie. Les patriotes de pacotille finissent toujours, un jour ou l'autre, par tomber le masque.

Le Figaro, 14 octobre 2022

Alexandre Villaplane, l’effrayante trajectoire du capitaine des Bleus devenu officier nazi

Par Gilles Festor

 

Lorsque l'on saisit le nom d'Alexandre Villaplane dans le moteur de recher che de la Federation francaise de football, on obtient une biographie sommaire : des statistiques, une photo noir et blanc du milieu de terrain, le visage fin et le regard percant. On relève sur
tout des inexactitudes, sur sa date de naissance, de
deces ou sur sa taille 1.75 m au lieu de 1.66 m). Comme si la « FFF » cherchait à brouiller les pistes pour
effacer les traces de cette ancienne star de la selection qui a fini par trahir son pays à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

D’ailleurs, lorsque Luc Briand, travaillant sur la destinée de cet ancien Tricolore, a contacté la Fédé- ration afin d’accéder aux archives, il n’a pas obtenu de réponse. « Probablement parce qu’il s’agit de la lé- gende noire du football français », relativise le magis- trat qui a écrit le livre Le Brassard (Éditions Plein Jour). Son incroyable récit retrace l’ascension puis la descente aux enfers d’Alexandre Villaplane, glorieux capitaine des Bleus (25 sélections) au Mondial 1930, et dont l’existence a pris fin le 27 décembre 1944 dans la froidure du fort de Montrouge, le corps criblé de balles après avoir été condamné à mort.

 

Adolescent, il rêve de réussite sociale

Rien ne laissait présager d’une telle issue pour Alexandre Villaplana, de son vrai nom, dont la montée vers les sommets rappelle celle de tant d’autres sportifs partis de rien, ou presque. « Alex », comme le surnomme Luc Briand, naît à Alger, quelques heu- res avant Noël, en 1904, d’une mère au foyer et d’un père d’origine espagnole et foudrier, qui fabrique des tonneaux de grande taille. «Son enfance et son ado- lescence se passent plutôt bien et sans histoires mais dans une famille qui court souvent après l’argent, ce qui va le marquer profondément», insiste Luc Briand posant le décor. Le petit Alexandre passe son temps à taper dans la balle dans le quartier populaire de Belcourt où vit Albert Camus, de neuf ans son cadet, touché lui aussi par le virus du ballon rond. « Il est probable qu’ils se soient croisés à un moment où un autre au bord d’un terrain », note l’auteur. Dans les sections de jeunes, Villaplane est surclassé et lorsque sa famille s’installe en métropole, en 1921, près de Cette (ancienne dénomination de Sète), l’adolescent rêve de réussite sociale et d’un destin glorieux dans le football, même si ce sport n’est pas encore professionnel. C’est l’ère de « l’amateurisme marron » : les joueurs sont rémunérés sous la table ou grâce à un emploi fictif.
L’argent guide ce prometteur espoir mécontent de son statut à Cette, qui perd en finale de la Coupe de France, la grande compétition nationale d’alors puisque le championnat de France ne verra le jour qu’en 1932. Avec son caractère bien trempé, il claque la porte pour rejoindre l’Union cycliste vergézoise en 1923 avec, à la clé, un emploi fantôme mais rémuné-rateur de commercial chez Perrier.

[...]

Nice Matin, 14 octobre 2022

De capitaine des Bleus à officier nazi:

Par Margot Dasque

 

Contre son camp. Alexandre Villaplane aurait pu être un Mirabeau : le premier à entrer au Panthéon du ballon rond. Sauf que le natif d’Alger a préféré le déclin au destin.

 

Né en 1904, il sera fusillé à l’âge de 40 ans à la Libération. Le sombre parcours de celui qui a troqué son maillot pour un uniforme SS est retracé dans l’ouvrage Le Brassard (éditions Plein jour). Résultat de quatre ans de recherche et d’écriture de Luc Briand, président de chambre à la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Sélectionné pour le prix Jules Rimet, le livre conte les années azuréennes du capitaine de l’équipe de France pour la première Coupe du monde de l’histoire.


Quelle est la genèse de cet ouvrage ?


En lisant des livres sur la collaboration, j’ai trouvé le nom d’Alexandre Villaplane. Il avait un profil particulier: au milieu des collabos, des hauts fonctionnaires classiques, on trouve... le capitaine de l’équipe de France de football. Je n’étais pas du tout certain de trouver assez d’informations. J’ai eu longtemps des doutes. Mais en ramenant les fragments de documents, d’articles de presse, j’ai pu tirer le fil.


Quel genre d’homme était-il dans le monde du sport ?


Le footballeur qu’il était avait comme réputation d’être un bon camarade, un grand joueur charismatique, il avait un esprit d’entraînement.


Son histoire est marquée par la professionnalisation du foot...

 

Ce sont les clubs qui l’ont demandée et obtenue en 1932. Parce qu’avant, ils n’avaient aucune prise sur les joueurs! À cette période, le joueur venait ou pas l’entraînement, pouvait changer de club comme il voulait...
 

Et même être engagé dans un casino alors qu’il était déjà connu défavorablement pour ses entourloupes de jeux !

 

Effectivementv! Cela fait partie des choses qui ont pu le décider à venir à Antibes. Le président d’Antibes Olympique étant aussi le directeur du casino de Juan-les-Pins, il lui a assuré un job de croupier. Le soleil également l’a sûrement décidé à s’y installer. Tout comme son ami Louis Cazal qui était déjà au club.


À partir de là, il développe un lien avec la Côte d’Azur...


C’est là qu’il a vécu sa première saison professionnelle. Il a joué à Antibes et à Nice. Il y a aussi rencontré Julia Becker qui vivait à Juan-les-Pins, ils ont eu un fils ensemble né à La Trinité. Il les quitte avant la guerre pour aller à Paris, miser sur des courses hippiques, passer ses nuits à Pigalle...


Cela aurait changé la donne s’il n’était pas parti ?


Il aurait dû rester dans le Sud. Il a dégringolé. Au départ, il n’était que dans des petites combines pas très méchantes. Ensuite, il s’est retrouvé pris dans quelque chose d’un autre niveau...


Que sont devenus Julia Becker et son fils ?


Ils sont restés dans les Alpes-Maritimes. Son fils, Alex, est mort brutalement à Antibes le 10 juillet 1978, à 43 ans. Julia Becker, quant à elle, a refait sa vie. Mais elle a continué à vivre à la même adresse, près de la gare de Juan-les-Pins, jusqu’à sa mort en 2001.

 

Comment se fait-il que Villaplane bascule ?


C’est l’histoire du petit voyou qui devient grand assassin. Il a toujours été attiré par l’argent. Il a grandi parmi les plus pauvres des plus pauvres. Je crois que quand il arrive à Sète, pour sa première affectation dans le foot, ça lui tourne la tête. Il faut dire qu’il a juste 16,17 ans, quand il commence à se rendre compte qu’il peut gagner sa vie. Plus tard, il continue sur cette lancée quand sa carrière s’arrête. À l’époque, il n’y a pas de structure pour aider les sportifs à se reconvertir.


Mais comment on passe des arnaques à la petite semaine à entrer dans la Gestapo française ?


Il a été pris dans l’engrenage, il se fait recruter par Henri Lafont qui était un homme vraiment menaçant. Il ne peut pas lui dire non. Et puis... je crois qu’à un moment il boit le calice jusqu’à la lie. Il voit là un moyen de se faire de l’argent, encore. Sauf qu’il va aller plus loin: naturalisé allemand, il devient officier nazi, il va torturer et tuer.


Comment expliquez-vous que Villaplane ne soit pas vraiment connu du grand public ?


On n’a pas de document avec sa voix, très peu de vidéos. Et il faut bien dire que ce ne sont pas les représentants du football qui vont le mettre en avant. Il y a aussi le fait qu’en France, contrairement à l’Angleterre, nous n’avons pas de culture littéraire du sport.


Il vous reste des questions en suspens ?


Je ne sais pas ce qui est arrivé dans sa vie entre 1935 et 1939 : quand il quitte l’OGC Nice, il va travailler à Monaco, son fils naît en 1935. Mais avant l’entrée en guerre, il y a un vide.

 

Avez-vous été approché pour une adaptation télévisuelle de votre livre ?

 

Le livre est sorti depuis un mois, donc non. Mais effectivement, l’histoire s’y prête...

 

Recruté après ses séjours en prison...

 

Pas seulement un arnaqueur. Pas seulement un ex-footballeur. Si Alexandre Villaplane a su briller par ses vingt-cinq titularisations en équipe de France, c’est son engagement dans la Gestapo qui reste dans les mémoires. Recruté au début de la Seconde guerre mondiale après ses séjours à la prison de la Santé pour ses paris hippiques truqués, il prend du poids dans la collaboration. Au sein de la Brigade Nord-Africaine, il traque les hommes, les femmes, les enfants. À Mussidan, il prend en otage onze personnes de dix- sept à vingt-sept ans. Toutes seront exécutées sous ses ordres. Lui-même revendiquera le tir de plusieurs balles. Les témoignages évoquent sa cruauté, ses ignominies. Le voile est levé sur ses agissements à la Libération. Le procureur qualifiera l’ex-joueur de l’OGC Nice comme "un escroc-né". La Cour de Justice de la Seine le condamne à mort le 1er décembre 1944 pour "haute trahison, intelligence avec l’ennemi, meurtres et actes de barbarie".

Revue Football(s), Septembre 2022

Luc Briand. Le Brassard. Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus et officier nazi

Par Julien Freitas

 

Du brassard de l’équipe de France à celui des nazis, voici le destin hors-norme d’Alexandre Villaplane, auquel Luc Briand a consacré son dernier ouvrage. L’histoire est édifiante. Elle raconte la descente aux enfers d’un gamin d’Alger, passé en moins de quinze ans du capitanat des Bleus lors de la première Coupe du monde en Uruguay à un poteau d’exécution au fort de Montrouge par une froide journée de décembre 1944. Joueur de football brillant passé par Sète et le Racing Club de France, Villaplane s’enfonce petit à petit dans les combines et les escroqueries à mesure que la fin de sa carrière approche. Définitivement retiré des terrains après une énième affaire en 1933, son nom quitte dès lors les colonnes consacrées aux sports dans les journaux pour rejoindre celles des faits divers. Lors de l’Occupation, son talent d’escroc tape dans l’œil d’Henri Lafont, chef de la Gestapo Française qui le recrute. C’est le début d’une déchéance spectaculaire qui le conduira au peloton d’exécution à la Libération.

Grâce à une documentation imposante, l’auteur, magistrat de son état, signe ici une biographie complète sur le cas largement oublié d’un footballeur de renom tombé en disgrâce. Évoquée tout de même dans un chapitre des Destins Maudits du Football de Frédérik Légat (2020) mais aussi dans l’ouvrage Débordements, sombres histoires de football 1938-2016 de Frédéric Bernard, Samy Mouhoubi et Olivier Villepreux (2016), l’histoire de Villaplane demeure assez largement méconnue du grand public. À ce titre, l’accessibilité de l’ouvrage, permise par une écriture fluide et agréable, n’est d’ailleurs pas son point fort le moins remarquable. À une époque où la lecture d’ouvrages historiques peut en effrayer plus d’un du fait de la complexité du propos ou de la taille du volume, la parution de ce livre de 256 pages destiné aussi bien aux historiens qu’au grand public, est une excellente nouvelle pour la diffusion de l’histoire du football en France. Pour les passionnés du ballon rond, cet ouvrage permettra également de découvrir ou redécouvrir quelques joueurs et quelques exploits d’une génération oubliée. Pour ceux-là, la lecture des exploits d’un Alex Thépot face à l’Argentine lors de la Coupe du Monde 1930 sera à coup sûr un véritable plaisir.

Pour ce qui concerne la recherche scientifique, l’ouvrage de Luc Briand apparaît là aussi comme essentiel puisqu’il éclaire le parcours d’un des personnages les plus atypiques de l’histoire du football français. Au fil des pages, on comprend comment un joueur si brillant, figurant parmi les

plus réputés du pays, a pu tomber dans les petits trafics puis, de mal en pis, devenir membre de la Gestapo française d’Henri Lafont pendant la guerre avant de finir par porter un uniforme allemand au sein de la Brigade Nord-Africaine. En l’opposant au parcours d’Étienne Mattler, coéquipier de Villaplane en 1930, capitaine de l’Équipe de France à la Coupe du Monde 1938 et résistant pendant les Années Noires, l’auteur démontre bien qu’en temps de guerre, des hommes aux parcours jusqu’ici similaires peuvent emprunter des parcours diamétralement opposés. S’il fallait trouver une légère nuance à cette dérive criminelle, peut-être résiderait-elle dans les raisons avancées par l’auteur quant aux raisons de la déchéance d’Alexandre Villaplane. S’il est indéniable que celle-ci a été en partie le fruit d’une « avidité grandissante d’un homme qui rencontrait la notoriété, rencontrait les puissants et s’éloignait ainsi du petit enfant qui courait après son ballon dans la rue Lamarck » (p. 237), il apparaît également que le contexte de sa carrière, disputée au moment de la bascule entre l’amateurisme marron et le professionnalisme, a joué un rôle important dans le destin de Villaplane. Probablement attiré par les combines et l’argent, le natif d’Alger a trouvé dans le football de ces années-là les conditions idéales pour développer ses deux penchants : beaucoup de temps libre, des emplois dans des cafés, des casinos, et surtout une absence de perspective de reconversion au moment où ses performances ont commencé à décliner. De façon moins spectaculaire, d’autres grands noms de son époque connaîtront d’ailleurs eux aussi une descente aux enfers : grand buteur de l’Équipe de France d’avant-guerre, Jean Nicolas passera par la case prison pour des affaires d’escroquerie tandis que Yvan Beck, immense attaquant de Sète et de l’AS Saint-Étienne, tombera dans l’oubli et la misère après la fin de sa carrière. Pour eux aussi, (et pour tant d’autres !), il serait intéressant que des chercheurs marchent dans les pas de Luc Briand afin de réaliser de nouvelles biographies sur ces footballeurs largement oubliés aujourd’hui. Désormais, la porte est ouverte !

Télé 2 semaines, 17 septembre 2022

Le Brassard. Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus et officier nazi

Par Corinne Calmet

 

Luc Briand, magistrat, raconte le parcours d'un jeune footballeur de plusieurs clubs du Midi. Son talent le conduit à participer, en 1930, à la première Coupe du monde. Il intégrera la Gestapo pendant la Seconde Guerre mondiale, puis l'armée allemande, avant d'être exécuté après la Libération. Un récit passionnant.

Des Bleus au poteau d'exécution

Par Frédéric Laharie

 

Luc Briand raconte dans un livre passionnant la déchéance du capitaine de l’équipe de France de la première Coupe du monde de football, fusillé pour avoir participé à des massacres en Dordogne sous l’uniforme nazi

 

De l'enfance à Alger au peloton d'éxecution du Fort de Montrouge à Arcueil.

De l’équipe de France de football à tortionnaire pour les Nazis. C’est le raccourci vertigineux et effrayant de la vie d’Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus (25 sélections) lors de la pre­ mière Coupe du monde de l’his­toire, en 1930 en Uruguay, fusillé le 27 décembre 1944 pour avoir rejoint la Gestapo française du tristement célèbre 93 de la rue Lauriston à Paris puis endossé l’uniforme SS et participé à plu­ sieurs massacres en Dordogne.

Il fallait un passionné de foot­ball, d’histoire et de justice pour raconter ce destin hors du com­mun. Luc Briand est celui­là. Juge à la Cour d’appel d’Aix­-en­-Pro­vence, il a tapé dans le ballon rond durant son enfance, no­tamment en Dordogne à Cou­lounieix-­Chamiers, où le souve­nir des crimes de guerre nazis reste toujours très présent dans la mémoire collective. C’est en li­sant « Les collabos, 13 portraits d’après les archives des services secrets de Vichy, des RG et de l’épuration » de Laurent Joly qu’il prend connaissance de l’histoire de Villaplane, alors connue d’un petit cercle d’historiens du sport.

 

Les début du foot pro

 

Dans son passionnant Le bras­sard, Alexandre Villaplane, capi­taine des Bleus et officier nazi, Luc Briand réussit à retracer minutieusement le parcours d’un Alexandre Villaplane aux deux visages. « Il y a le footballeur, animé d’un très bon esprit, ap­précié de ses coéquipiers à tel point qu’il est désigné capitaine de l’équipe de France. Et il y a l’au­tre Alexandre Villaplane, celui de la Seconde guerre mondiale, un escroc à la petite semaine, sans scrupule ».

Avec l’auteur, on embarque d’abord sur le « Conte Verde », le paquebot qui transporte les dé­ légations européennes en Amé­ rique du Sud, et sur le pont du­quel Villaplane organise l’entraî­nement au milieu des passagers. On vit comme si on y était ce Mondial des pionniers. Puis on suit les débuts du football pro­ fessionnel en France dans les an­ nées 30. Avec déjà ses transferts, ses arrangements, ses vedettes dont fait rapidement partie le jeune joueur du FC Cette (qui de­ viendra Sète).

Un drôle de zigue ce Villa­plane. Même au plus haut de sa gloire sportive, le milieu de ter­ rain de Sète, Nîmes ou du Racing Paris a toujours navigué en eaux troubles. De petits avantages du temps de sa gloire de footballeur en combines minables qui lui valent ses premiers séjours en prison, Alexandre Villaplane atti­ rent les mauvaises fréquenta­tions. Jusqu’à être redevable d’un certain Henri Chamberlain, dit Lafon, lui­aussi repris de jus­ tice et surtout chef de la gestapo française durant l’occupation al­lemande. « Lafont le tient », souli­gne Luc Briand. Sous sa protec­ tion, Villaplane spolie, pille, ta­basse, s’enrichit pour continuer de mener grand train.

 

Du milieu au Milieu

 

Sa seule idéologie, c’est l’appât du gain. « Mon interprétation est qu’étant issu d’un milieu pau­vre, et ayant commencé à gagner de l’argent et à connaître la gloire à l’âge de 16 ans, il n’a plus pu s’en passer, explique Luc Briand. Il a été acclamé par des foules de 40 000 personnes, il n’en est pas redescendu ».

Alexandre Villaplane aurait pu se « contenter » de cette carrière de petit voyou profiteur. Au con­traire, en 1943, il bascule définiti­vement du côté sombre, tou­jours pour amasser pièces d’or et billets de banque. Naturalisé Allemand, il endosse l’uniforme SS au sein de la Brigade Nord­-Afri­caine et rejoint Périgueux. En Dordogne, il commande l’exécu­tion de 27 Résistants ­ dont le père de Roland Dumas ­ à Bran­tôme, poursuit ses méfaits, parti­cipe au massacre de Sainte­-Ma­rie­-de­-Chignac (25 fusillés). Et s’il ne participe pas à celui de Mussi­dan, le11juin1944, c’est qu’il a fui à Paris, sentant le vent tourner. Il n’échappera pas à son destin. Ju­gé avec ceux de la rue Lauriston, condamné à mort et exécuté le 27 décembre 1944. Fin de partie.

Sud Ouest, 11 septembre 2022

L'Équipe, 4 septembre 2022

De capitaine des Bleus à officier nazi, l'obscure histoire d'Alexandre Villaplane enfin révélée au grand jourDe capitaine des Bleus à officier nazi, l'obscure histoire d'Alexandre Villaplane enfin révélée au grand jour

Par Vincent Hubé

 

Cette rentrée, deux livres sont publiés sur l’ancien capitaine des Bleus, en 1930, fusillé à la Libération, en 1944. Ce personnage n’avait inspiré jusque-là aucune biographie.

 

Un drôle de hasard. Deux ouvrages paraissent coup sur coup en cette rentrée sur un personnage qui n’avait pas semblé jusque-là séduire les éditeurs. [...]

Difficile pourtant de trouver scénario plus intri- gant. Alexandre Villaplane, né Villaplana à Alger en 1904, est le capitaine de l’équipe de France de football lors de la première Coupe du monde, en Uruguay, en 1930. De 1921 à 1934, période charnière entre amateurisme marron et débuts du professionnalisme, ce milieu de terrain joue à Sète, Vergèze, Nîmes, au Racing, à Antibes, Nice... Il compte 25 sélections entre 1926 et 1930. Exemplaire par son engagement physique, il obtient le brassard des Bleus début 1930. Son style? « Une grande adresse, une étonnante facilité de jeu », écrit l’hebdomadaire Football qui évoque aussi sa « popularité qui ne diminue guère ».

Le footballeur se signale aussi hors terrain et, cette fois, pas à son honneur. Tout au long des an- nées 1930, il est impliqué dans plusieurs faits di- vers, notamment une escroquerie présumée avec un billet de loterie espagnole où il sera relaxé. Une arnaque aux courses hippiques lui vaudra, elle, une condamnation à six mois ferme : avec des compli- ces, il a fait courir un crack, Écureuil V, sous le nom d’un tocard, Hallencourt, et empoché des gains im- portants grâce aux cotes ainsi truquées...

Avec l’Occupation, Villaplane bascule dans le grand banditisme et la collaboration la plus extrême. Il rejoint la Gestapo française, la bande Bonny-Lafont, installée au 93 rue Lauriston dans le XVIe arrondissement de Paris, et multiplie les trafics et les extorsions en tout genre. En 1944, il de- vient officier SS, revêt l’uniforme allemand et dirige une section de la Brigade nord-africaine, qui commet des massacres dans le Sud-Ouest. Arrêté à Paris le 24 août 1944, jugé en décembre par la Cour de justice, condamné à mort, il est fusillé le 27 décembre 1944 au fort de Montrouge. « Si Villaplane avait été anglais, il y aurait déjà eu trois livres sur lui. Ils sont plus habitués aux relations entre culture et sport », estime Luc Briand. Pour ce magistrat en congé parental au Japon, la France est en train de s’y mettre. « La littérature sportive est en plein essor. Et avec l’ouverture des archives, le passage des géné- rations, l’histoire est beaucoup plus apaisée... » Reste qu’il faut aimer écrire sur un tel personnage. « Avec Villaplane, il n’y a pas d’empathie, juste un sentiment de gâchis, juge l’auteur du Brassard. On ne lui de- mandait pas d’être résistant, juste de se faire oublier pendant la guerre. Aujourd’hui, il y aurait peut-être des stades ou une rue de Sète à son nom. »

 

[...]

 

Pour connaître ses « motivations profondes », une piste serait de retrouver d’autres archives, privées celles-là, comme sa correspondance. « On sait de source sûre qu’en prison, il a beaucoup écrit à Raymonde, sa maîtresse, à sa fille Jacqueline et à son fils Alex », avance Frédéric Massot, qui n’a pas retrouvé ces lettres. En 2012, déjà, Rémy Fière espérait que la publication de son feuilleton susciterait des réactions de proches.

Le journaliste avait été jusqu’à éplucher l’annuaire pour retrouver d’éventuels cousins ou petits-enfants. « Personne ne m’avait dit : “Oui, c’est mon grand-père”. Aujourd’hui encore, je ne désespère pas de tomber par hasard sur des petites choses, comme des photos ou une tombe. » Briand et Massot, eux, se sont plongés dans les sites de généalogie amateurs, à la recherche d’ultimes témoins ou de détenteurs de papiers de famille. « J’ai lancé des bouteilles à la mer partout », assure Massot. « Aucune personne, aucun enfant ne s’est manifesté malgré mes démarches », écrit-il à la fin de son roman. Le feuilleton Villaplane n’est pas terminé.

Le Figaro Magazine, 2 septembre 2022

Une sale histoire française

Par Jean-Christophe Buisson


Qui connaît le nom d’Alexandre Villaplane ? Les historiens et spécialistes du football : ce milieu de terrain défensif (on disait « inter », à l’époque) fut le capitaine de l’équipe de France lors de la première Coupe du monde en Uruguay en 1930. Mais il a aussi
marqué les mémoires de Roland Dumas et de Geneviève de Gaulle-Anthonioz.
Durant la Seconde Guerre mondiale, devenu officier SS encadrant la Brigade nord-africaine, il a fait fusiller le père du premier et participé à l’arrestation, l’interrogatoire musclé et la déportation de la seconde à Ravensbrück. Mais son étoile avait déjà commencé à pâlir dès avant l’Occupation. Dès les dernières années de sa carrière, Villaplane, joueur et parieur invétéré, séducteur insatiable, s’était laissé aller à plusieurs escroqueries dans les casinos et sur les champs de courses. Et avait commencé à fréquenter le monde des
voyous qui allait prospérerentre 1940 et 1944 avec, à sa
chef, le sinistrement célèbre chef de la « Gestapo française », Henri Lafont. Villaplane fut un de ses lieutenants.

Luc Briand a rassemblé dans un récit biographique exemplaire tous les témoignages et archives de journaux où le nom de Villaplane a navigué

pendant deux décennies entre les rubriques sportives et judiciaires. Aussi à l’aise pour narrer des rencontres de football (qui prennent parfois l’allure d’épopées), le passage chaotique du monde du ballon rond au professionnalisme, les audiences de procès et le détail des délits et crimes de l’ancienne gloire du foot des années 1920 (notamment contre les résistants à Paris ou dans le Sud-Ouest en 1944), le magistrat lève intégralement le voile sur celui qui finit fusillé au fort de Montrouge. Cette fois, il ne reçut pas un ballon dans les pieds, mais une pluie de balles dans le torse.

Le Monde, 1 septembre 2022

« Le Brassard », ou l’histoire du capitaine de l’équipe de France de football en 1930 devenu nazi

Par Christine Rousseau

 

Alexandre Villaplane, joueur combatif qui revêtit une vingtaine de fois le maillot de l’équipe de France, glissa dans les trafics et les escroqueries avant de devenir, pendant l’Occupation, un des hommes de main de la Gestapo française et d’être fusillé à la Libération.

 

Après avoir connu les plus grands stades français et étrangers, la dernière pelouse qu’Alexandre Villaplane a foulée est celle du fort de Montrouge, à Arcueil (Val-de-Marne). C’est là qu’il est conduit au matin du 27 décembre 1944, afin d’y être exécuté en compagnie de celui dont il a été l’un des hommes de main : Henri Lafont, parrain de la Gestapo française. De la gloire à l’opprobre, ainsi s’achève le parcours de l’une des stars du football français des années 1920-1930.

Milieu de terrain sous les couleurs notamment du FC Sète, du Racing Club de Paris ou de l’OGC Nice, ce joueur infatigable et combatif a revêtu une vingtaine de fois le maillot de l’équipe de France. Mieux encore, à l’apogée de sa carrière, il fut le capitaine des Bleus lors de la première Coupe du monde, en 1930, qui se tint en Uruguay. Reste qu’après cette brève épopée sud-américaine où l’équipe de France est éliminée dès le premier tour, son goût pour les hippodromes et les tripots prend le pas sur sa passion du foot. Le public se détourne peu à peu d’un joueur devenu irrégulier et désinvolte, qui jadis régalait par des gestes techniques audacieux, tels que les têtes plongeantes dont certains lui attribuent la paternité.

 

De trafics en courses truquées et diverses escroqueries, le nom d’Alexandre Villaplane glisse insensiblement de la rubrique sportive à celle des faits divers. A partir du milieu des années 1930, qui marque la fin de sa carrière, il ne la quittera plus. Dès lors, l’ancienne star se mue en voyou, fraye avec le « milieu » et se montre prêt à tout pour de l’argent et sauver sa peau. Quitte à revêtir l’uniforme nazi et à commettre le pire.

 

L’« amateurisme marron »

 

De cette trajectoire sulfureuse dont l’histoire débute en Algérie, où Villaplane naquit en 1905, à sa chute dans l’ignominie, le magistrat Luc Briand tire un livre passionnant. Nourri d’archives de presse, judiciaires et de témoignages – dont celui d’un des rescapés des extorsions que Villaplane a menées en 1944 dans le Périgord –, Le Brassard met en lumière une figure sinon méconnue, du moins tombée dans l’oubli. Et avec elle, une époque charnière : celle des années 1920-1930, qui voit le football se structurer ; tant sur le plan international que national. Ainsi, en 1932, conjointement à la création d’un championnat de France, les instances dirigeantes mettent fin à un mal endémique : l’« amateurisme marron » dont usaient les clubs pour attirer les joueurs en les rémunérant, no­ tamment au travers d’emplois fic­ tifs. Un système par lequel Villa­ plane, représentant de commerce et même croupier, va être happé. [...]

The Times, 27 août 2022

French footballer Alexandre Villaplane led killer squad for Nazis

Par Adam Sage

 

Villaplane, a tenacious midfielder, went on to become a Nazi collaborator

whose murderous activities ended with his execution by firing squad on December 27. 1944. after the liberation of France. He was 40.

The French are being forced to confront his sordid story with the publication yesterdav of what is believed his first biography. Le Brassard was written by Luc Briand, 45, a judge at the Aix-en-Provence appeal court, who delved into recently released archive to tell a tale that reavels the depths of French collaboration. It also exposes, at least implicitly, efforts to airbrush it out of postwar history.

[...]

RMC Sport, 25 août 2022

Afterfoot

Par Gilbert Brisbois

 

Pour réécouter l'émission, cliquez ici.

Revue Alarmer, 22 août 2022

Le Brassard. Alexandre Villaplane, capitaine des Bleus et officier nazi. Un livre de Luc Briand

Par François da Rocha Carneiro

 

Rares sont les noms de sportifs et sportives du premier XXe siècle à avoir traversé les affres de l’oubli. Celui du boxeur Georges Carpentier(1894-1975) est revenu récemment au premier plan. L’intérêt pour la question du genre a permis de mettre en lumière la joueuse de tennis Suzanne Lenglen (1899-1938) et peut-être plus encore Alice Milliat (1884-1957) qui milite pour la pratique sportive féminine. Les trajectoires tragiques du footballeur Matthias Sindelar (1903-1939), du nageur Alfred Nakache (natation, 1915-1983) ou du boxeur Victor Young Perez (1911-1945) ont pu intéresser auteurs et réalisateurs. L’exemple d’Alexandre Villaplane était parfois mentionné comme le mouton noir du sport français pour son rôle funeste pendant l’Occupation, figurant volontiers parmi les « sombres histoires de football ». Néanmoins, aucun auteur n’avait pris soin d’étudier plus avant la trajectoire de ce footballeur si singulier. C’est la tâche à laquelle se livre Luc Briand qui, avec Le Brassard, dresse un portrait saisissant du sportif devenu criminel.

Le sous-titre de l’ouvrage, « capitaine des Bleus et officier nazi » explique à lui seul le point de départ choisi pour saisir le personnage. C’est sur le quai de Villefranche-sur-Mer (Alpes-Maritimes) que l’auteur choisit de nous présenter l’homme. Le 21 juin 1930, un groupe embarque là sur le Conte Verde, un paquebot à destination de l’Amérique du Sud, car l’Uruguay accueille trois semaines plus tard la première Coupe du monde de football. Luc Briand y présente deux des joueurs français composant le groupe, le gardien de but Alexis Thépot et le Belfortain Etienne Mattler, avant de décrire brièvement celui qui sera le capitaine de l’équipe nationale pendant la compétition : Alexandre Villaplane.

 

L’ascension des années 1920 : des quartiers d’Alger à la première coupe du monde de football

 

L’auteur revient alors sur l’enfance du footballeur. En quelques pages, il décrit la complexité d’une famille d’Européens d’Algérie, d’Européens en Algérie , d’une famille entre deux rives. Le père, Joseph Villaplane, fils d’Espagnols né à Boufarik, rencontre sa deuxième épouse, Nathalie Baldare, lors d’un séjour de quelques mois en métropole. Le couple s’installe en Algérie, où naissent leurs enfants au début du XXe siècle. Alexandre Villaplane voit le jour en 1904 et passe son enfance et son adolescence à Alger, dans le quartier Belcourt. C’est là qu’il s’initie au football, endossant le maillot rouge et bleu du Gallia Sports (club omnisports algérois fondé en 1908) à l’âge de 12 ans. Quelques années plus tard, en 1921, sa famille décide de s’installer près de Cette (qu’on écrira Sète à partir de 1928) et de Poussan , le bourg d’où sa mère est originaire. La ville portuaire possède un club de football de premier plan, le FC Cette, dirigé par l’ancien international Georges Bayrou et entraîné par le joueur écossais Victor Gibson. Flirtant avec le professionnalisme en ces heures d’« amateurisme marron », les joueurs officiellement amateurs étant de fait en réalité rémunérés sous une forme ou sous une autre (indemnités, primes, avantages, emplois plus ou moins fictifs,…), le club est sanctionné en plein cœur de la saison 1921-1922 par une suspension de quelques semaines.

C’est dans ce contexte social particulier que le footballeur débute sa carrière de sportif de haut niveau. Il ne jouit évidemment pas d’un statut de joueur professionnel qui n’existe pas encore en France, mais l’argent tient une place indéniablement importante dans sa trajectoire. C’est par intérêt qu’il rejoint le petit club de l’Union Cycliste Vergézoise (dans le Gard) pour une courte saison en 1923-1924, cédant aux sirènes de la Société des eaux minérales qui possède l’usine Perrier. En échange de ses talents en crampons, Alexandre Villaplane obtient une place de représentant de commerce pour Perrier, sans avoir à vendre beaucoup de petites bouteilles. Le service militaire qu’il effectue à Montpellier lui permet de poursuivre sa carrière au FC Cette. Le 11 avril 1926, il enregistre sa première sélection en équipe de France face à la Belgique et entame alors une carrière internationale riche de vingt-cinq matchs . En 1927, il signe au Sporting Club Nîmois, là encore pour des raisons pécuniaires bien plus que sportives puisque sa nouvelle équipe, moins prestigieuse que celle de Cette, pourrait l’éloigner de la sélection (ce qui ne sera pas le cas).

 

[...]

 

Etape après étape, Luc Briand suit la trajectoire si complexe de ce héros devenu escroc avant de revêtir le costume du salaud. Le lecteur aurait tort d’être décontenancé par le goût de l’auteur pour le flash-back et pour le pas de côté. Si quelques éléments semblent peu utiles à la démonstration, tels les rapprochements avec Albert Camus qui aurait pu croiser la route d’Alexandre Villaplane lorsqu’ils étaient enfants (p. 33-34) ou la description de la tenue du footballeur et du ballon au début des années 1920 (p. 36-38), ils participent d’un art du récit qui permet de mieux saisir les nuances d’une biographie où se mêlent gloire et déshonneur. Les parallèles entre la vie exemplaire du résistant Etienne Mattler et la chute continue du collaborateur Alexandre Villaplane sont particulièrement parlants.

 

Derrière un style qui pourrait faire croire à la biographie romancée et qui rend la lecture très agréable, l’auteur démontre une réelle maîtrise de l’archive. Luc Briand repose en effet son récit sur des sources variées qu’il sait confronter avec talent les unes aux autres et le lecteur, y compris le plus initié à ce type d’exercice, ne peut être qu’impressionné par le remarquable travail documentaire nécessaire pour comprendre qui était Alexandre Villaplane. Ainsi, au-delà du seul portrait sportif du premier capitaine français en Coupe du monde, sa figure vient utilement nourrir la connaissance des salauds ordinaires de l’Occupation, dont le parcours de vie prend davantage la forme d’une dégringolade vers l’abject que d’une trajectoire linéaire d’un criminel-né.

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