Sous la direction de Corentin Léotard avec Le Courrier d'Europe centrale

LA HONGRIE SOUS ORBAN

 

 

350 pages, 19 euros

4 février 2022

 

 

REVUE DE PRESSE

Non-Fiction.fr, 29 juin 2022

Un autre regard sur les questions internationales

Par Damien Augias

 

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La Hongrie de Viktor Orbán, laboratoire du populisme illibéral en Europe

 

Enfin, sous la direction de Corentin Léotard, jeune rédacteur en chef du Courrier d’Europe centrale, site de référence sur l’actualité des pays de l’ancien bloc soviétique, un dernier ouvrage collectif complète ce renouveau éditorial sur les enjeux internationaux.
 

Plus confidentiel, moins ambitieux mais plus focalisé sur une zone géographique et d’expertise que le généraliste Grand Continent, ce nouveau média aurait pu choisir, comme Le Rubicon, de proposer un éclairage sur l’Ukraine, mais, publié quelques jours avant l’éclatement du conflit, le livre La Hongrie sous Orbán constitue moins un regard sur l’actualité la plus brûlante qu’une analyse de fond sur un phénomène politique né il y a une douzaine d’années dans un pays moins sous le feu des projecteurs.

 

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Cette tête de pont de la « contre-révolution conservatrice », devenue réactionnaire, a d’ailleurs surgi de manière inattendue, comme le notent les auteurs. La Hongrie, en effet, était une « élève » prometteuse de l’Union européenne, dès avant son adhésion en 2004 : au début des années 2000, elle était devenue, en partie par l’action de Viktor Orbán (qui avait gouverné une première fois de 1998 à 2002), une sorte d’eldorado ultralibéral, après une décennie 1990 où elle s’était démarquée sur le plan économique et politique des autres pays de l’ex-bloc soviétique.

 

Mais, depuis 2010, en effet, le « Système de Coopération Nationale » mis en place par Viktor Orbán, membre du PPE (parti populaire européen, qui regroupe la droite européenne) jusqu’en mars 2021, a progressivement fait de la Hongrie un pays ami de tous les partis d’extrême droite d’Europe (y compris le Rassemblement national en France) et au-delà (Trump et Bolsonaro admirent également ce « modèle »), alors que Viktor Orbán a été élu au printemps 2022 pour un quatrième mandat consécutif.

Les différents témoignages recueillis par les journalistes du Courrier de l’Europe centrale permettent de comprendre ce phénomène politique de l’intérieur, en montrant comment les habitants vivent cette notoriété internationale de leur chef de gouvernement et de son régime, gangrené par une corruption systémique. La parole est ainsi laissée aux nombreux supporters du parti (le Fidesz), mais aussi à celles et ceux qui s’y opposent au nom de la probité et de la liberté, ainsi qu’aux victimes du régime (Roms, habitants pauvres des villes, agriculteurs délaissés, homosexuels et artistes ciblés comme « déviants »…). Il s’agit donc d’une immersion unique dans une société plus diverse, plus vivante et plus libre que ce que son dirigeant voudrait faire croire…

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RFI, 7 avril 2022

Décyptage

Par Anne Corpet

 

Le triomphe de Viktor Orban en Hongrie

Pour réécouter l'émission, c'est ici.

France Culture, 2 avril 2022

Livre international

Par Sylvie Noël

 

Huit millions d'électeurs hongrois se rendront aux urnes dimanche 3 avril pour les élections législatives. Ils ont le choix entre le Fidesz, le parti du Premier ministre Viktor Orban, et la plateforme de l'opposition qui regroupe six partis.

Pour réécouter l'émission, c'est ici.

RFI, 2 avril 2022

Livre international

Par Sylvie Noël

 

Huit millions d'électeurs hongrois se rendront aux urnes dimanche 3 avril pour les élections législatives. Ils ont le choix entre le Fidesz, le parti du Premier ministre Viktor Orban, et la plateforme de l'opposition qui regroupe six partis.

Pour réécouter l'émission, c'est ici.

France Inter, 31 mars 2022

Un jour dans le monde

Par Fabienne Sintes

 

Législatives en Hongrie : Orban secoué par l'Ukraine ?

Pour réécouter l'émission, c'est ici.

Podcaat Ouest-France, 30 mars 2022

Europe

Par Fabien Cazenave

 

Clientélisme, contrôle des médias : pourquoi la Hongrie est si acquise à Viktor Orban. Écouter le podcast ici.

L'Humanité, 30 mars 2022

Hongrie : "La guerre isole Vikor Orban"

propos recueillis par Gaël de Santis

 

Les élections législatives vont se tenir dimanche. Le rédacteur en chef du Courrier d'Europe centrale, Corentin Léotard, nous dresse le portrait du premier ministre, au pouvoir depuis 2010 et proche de Vladimir Poutine.

 

L'avenir de Viktor Orban et de la Hongrie qu’il dirige d’une main de fer depuis 2010 est en jeu dimanche, à l’occasion des législatives. Le 3 avril, presque toute l’opposi- tion est unie derrière la figure de Peter MarkZay, le très conserva- teur maire de Hodmezovasarhely.

Corentin Léotard, qui vient de diriger l’ouvrage La Hongrie sous Orban (Plein Jour), dresse une fresque des problématiques et des différents pans de la société magyare.

 

La guerre en Ukraine nuit-elle à Viktor Orban, l’un des dirigeants européens les plus proches de Vladimir Poutine ?
Elle est pour lui une catastrophe diplomatique. Elle l’isole dans l’Union européenne, pour laquelle il doit faire preuve de loyauté, sans rompre avec Moscou. Il n’est pas facile pour lui de faire comprendre son grand écart diplomatique. Il parvient à limiter la casse en se présentant comme le protecteur de la Hongrie, qu’il va chercher à laisser hors de cette guerre. Il prône aussi l’accueil des réfugiés. Orban tente de faire oublier sa proximité avec Poutine en jouant la carte de la neutralité. Il présente les élections comme un choix entre la droite pacifiste et la gauche va-t-en-guerre. Il peut aussi s’appuyer sur la question énergétique, la Hongrie étant dépendante à 80 % du gaz russe. Or, 5 % des foyers se chauffent au gaz. La clé du succès de Viktor Orban aux élections de 2014 et 2018 a été la baisse des prix de l’énergie. Cette politique peut être remise en cause par des sanctions européennes sur l’approvisionnement en gaz. C’est un argument fort de campagne pour le premier ministre, qui dit qu’il ne veut ni entrer en guerre, ni davantage de sanctions contre la Russie. Est-ce qu’il va perdre des votes ? On n’en est pas sûr. Mais cela affecte l’image de Viktor Orban à long terme. Il s’est toujours pré- senté comme un combattant de la liberté (pour son rôle dans la fin du régime socialiste – NDLR), se pré- sentant comme l’héritier des révolutionnaires de 1956 (réprimés par les troupes soviétiques – NDLR). Lors de la Fête nationale, le 15 mars, il a renvoyé Ukraine et Russie dos à dos. Au moment où le pays voisin est engagé dans une lutte patriotique et dans un com- bat pour sa liberté, le combattant de la liberté qu’est Viktor Orban reste neutre.

 

Il est critiqué par l’Union européenne (UE). Son dernier mandat a-t-il été dangereux d’un point de vue démocratique ?
Bruxelles lui reproche la corruption systémique qui consiste à canaliser les fonds européens vers les hommes de son parti, le Fidesz. Avec cet argent, le pouvoir du premier ministre est consolidé. Depuis 2018, le phénomène le plus visible est l’attaque contre les ONG. Il cherche à inscrire son régime dans une nouvelle ère, à traduire son hégémonie politique en hégémonie culturelle. Ce qui n’est tou- jours pas le cas aujourd’hui. On enregistre ces der- nières années un ancrage croissant du Fidesz dans les institutions. État et Fidesz ne font plus qu’un. Il a mis en place un réseau de fondations recon- nues d’intérêt public. Celles-ci gèrent des mil- liards d’euros de fonds publics et sont dirigées par des proches du Fidesz. Elles sont verrouillées pour des années et pourraient agir comme un État pro- fond en cas de victoire de l’opposition. Au cours des deux dernières années, toutes les universités du pays sont passées sous la coupe de ces fondations.

 

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Diplomatie Magazine, Avril 2022

La Hongrie sous Orban

Par Alice Pivetau

 

Désormais présentée comme le laboratoire européen d’une contre-révolution conservatrice, la Hongrie a vécu plus d’une décennie sous le Premier ministre nationaliste, Viktor Orbàn. Partisan de l’illibéralisme, il enclenche un recul démocratique depuis son ascension au pouvoir. Le processus en marche est-il irréversible ? Menée par Corentin Léotard, rédacteur en chef du Courrier d’Europe centrale, une équipe de journalistes français a parcouru les régions hongroises à la rencontre de leurs habitants et nous transmet des bribes de réponses. En brossant le portrait d’une Hongrie divisée entre des partisans du Fidesz et ses opposants, l’ouvrage collectif devient une fresque sociale où les récits de trajectoires individuelles s'entremêlent. Qu’ils soient

de simples citoyens ou des militants politiques, ces témoignages s’imposaient à la veille d’une élection législative déterminante. En avril 2022, le jeu politique pourrait être renversé car, pour ces journalistes, « la démocratie hongroise respire encore ».

Pages de gauche, 27 mars 2022

Élections hongroises : Tous contre Orban

propos recueillis par Joakim Martins

 

Le 3 avril prochain, le peuple hongrois élira son Parlement. Dans des élections qui s’annoncent d’importance européenne, la population aura la possibilité soit d’accorder un quatrième mandat d’affilée à l’autocrate Viktor Orbán, soit de mettre au pouvoir une opposition coalisée qui promet de rétablir l’État de droit et le pluralisme politique dans le pays. Afin de mieux appréhender ces élections législatives capitales, Pages de gauche s’est entretenu avec Corentin Léotard, qui est rédacteur en chef du Courrier d’Europe centrale et correspondant à Budapest pour plusieurs journaux francophones (La Libre Belgique, Ouest France et Mediapart). Il a récemment dirigé La Hongrie sous Orban aux éditions Plein jour.

 

Pouvez-vous faire le bilan des douze dernières années consécutives de gouvernement Fidesz en Hongrie?

Depuis le retour au pouvoir de Viktor Orbán en 2010 (il avait déjà été Premier ministre de 1998 à 2002), il a été placé sous le feu des projecteurs internationaux. Ce fut d’abord pour s’être attaqué en 2011 aux médias avec une loi qui redéfinissait de fond en comble le paysage médiatique hongrois et qui se traduisit par la mise en coupe réglée de tous les médias publics et un grand rebattage des cartes dans les privés. Ce texte l’a en quelque sort placé sur la carte européenne, ce qui était une nouveauté pour la Hongrie, qui passait jusque-là sous le radar. Ensuite en 2012, il y eut le changement de Constitution hongroise qui attira, lui aussi, l’attention des médias étrangers. À partir de 2014 et de son fameux discours sur l’illibéralisme, lors duquel il décréta que la Hongrie suivra désormais son propre chemin et prendra ses distances avec la démocratie libérale, tout le monde s’est rendu compte qu’il avait une véritable ambition politique et géopolitique à long terme. En 2015, Orbán se révéla définitivement au monde en s’opposant à l’arrivée de réfugié·e·s en Europe en dressant sa fameuse clôture anti-migrant·e·s. Il est devenu à ce moment un référentiel pour les extrêmes droites occidentales. C’est pour ça qu’aujourd’hui même (le 17 janvier 2022) Jair Bolsonaro est en visite à Budapest et qu’on parle de la possible venue de Donald Trump en mars 2022. Marine Le Pen et Éric Zemmour se battent, eux de leur côté, pour obtenir son soutien dans le cadre de l’élection présidentielle française.

Tout cela valide le constat que nous avions établi dès le départ avec Le Courrier d’Europe centrale. Le cas Orbán n’a rien d’une affaire strictement hungaro-hongroise. L’autoritarisme, qui arrive lentement mais sûrement en Hongrie, ne relève en effet pas uniquement d’une particularité locale ou centre européenne. Si on a pu entendre que les démons étaient de retour dans une Europe centrale vouée à l’autoritarisme, il est nécessaire de constater que c’est un phénomène avant tout européen et occidental. Le Brexit, Donald Trump, le Front national, l’UDC en Suisse peut-être en sont d’autres émanations.

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Le gouvernement Orbán mène également des politiques franchement antisociales, non?

Si Viktor Orban est connu pour sa dérive antidémocratique, pour ses atteintes à l’État de droit, ce qui passe trop souvent sous le radar, ce sont les politiques sociales qu’il a mise en place et qui font beaucoup de perdant·e·s. Tout le système fiscal a été mis au service des classes moyennes et aisées. Le Fidesz est toujours présenté comme un parti du peuple. S’il est certes démagogue dans sa manière d’exercer le pouvoir et d’attirer le vote des classes inférieures, son gouvernement roule clairement pour les classes moyennes et supérieures, qui sont véritablement le cœur de la politique d’Orbán.

Il a notamment décrété au début des années 2010 que la Hongrie ne serait plus un welfare state mais un workfare state, ce qui s’est traduit par une loi restreignant énormément les marges de manœuvre des syndicats. Ces derniers n’avaient en plus pas besoin de ça. Ils sont déjà très faibles en Hongrie, car assimilés à l’ancien régime communiste.

La tristement célèbre «loi esclavagiste», comme l’a appelé l’opposition, qui est entrée en vigueur à l’hiver 2018, permet aux entreprises d’imposer un très grand nombre d’heures supplémentaires tout en les payant seulement l’année d’après. C’est une loi qui met véritablement les travailleuses·eurs à la merci de leurs patron·ne·s. Nous nous sommes toutefois rendu compte que la législation n’a pas été appliquée dans les entreprises; elles n’en avaient pas besoin et pouvaient globalement déjà faire à peu près ce qu’elles voulaient. Avec le recul, nous avons constaté que c’était une loi qui permettait avant tout de faire travailler plus longtemps les fonctionnaires.

Un autre aspect aussi, qui relève plutôt de la vision féodale qu’a le Fidesz de la société, c’est l’énorme recours des collectivités publiques aux Közmunkas (travaux d’intérêt public). Actuellement, 200’000-300’000 travailleuses·eurs doivent, pour faire valoir leurs droits à la sécurité sociale et aux allocations familiales, accepter de menus travaux pour un salaire de misère tournant autour de 150€ par mois (le salaire minimum est actuellement fixé à 487€ par mois en Hongrie). Ces petites tâches peuvent être de repeindre la mairie, balayer la voie publique ou encore élaguer les forêts. Les personnes incorporées dans ce programme sont à la merci du ou de la maire·sse, qui décide à son bon vouloir qui peut en bénéficier ou non. Vu de Budapest, cela ressemble à de l’esclavagisme. Ensuite quand on discute avec les gens dans les campagnes, ceux-ci nous répondent que ce système représente quand même une bouée de sauvetage pour eux. S’il est vrai que grâce à ce programme d’emplois publics, certains villages sont désormais mieux entretenus, la philosophie derrière ce système est férocement féodaliste et certainement pas émancipatrice.

 

Dans quel contexte se dérouleront les prochaines élections législatives hongroises?

Les élections primaires de l’opposition en septembre-octobre 2021 ont donné une bouffée d’air à la démocratie hongroise. Elles ont été suivies par beaucoup de monde. Sur les deux tours, 800’000 personnes se sont mobilisées, ce qui est énorme par rapport aux huit millions d’électrices·eurs. Depuis, il faut toutefois bien dire que le soufflé est beaucoup retombé. Le contexte sanitaire a mis une chape de plomb sur la vie démocratique; il n’est pas facile de se réunir et de rencontrer des gens en plein hiver et avec le Covid. J’espère que le mois de mars sera mis à profit pour relancer la machine et aller à la rencontre de la population, en particulier en province. Budapest est acquise à la gauche, ce n’est pas le problème.

Si la belle dynamique de la primaire semble pour le moment cassée, le Fidesz, qui a la main haute sur l’appareil d’État, distribue depuis généreusement des aides fiscales à tout le monde. Il supprime notamment l’impôt sur le revenu pour les jeunes de moins de 25 ans, redonne un 13e mois de retraite, met sur pied tout un paquet de mesures fiscales à destination des familles, augmente les salaires dans la fonction publique et fait encore grimper le salaire minimum de 20%. Avant de voter, tout le monde aura une bonne raison économique de soutenir Orbán.

 

Pouvez-vous rapidement décrire le système électoral hongrois?

Les élections législatives du 3 avril prochain sont capitales, car ce sont elles qui définiront la couleur du Parlement et donc du Premier ministre. C’est ce même Parlement qui désignera le Président. La république hongroise fonctionne selon un régime strictement parlementaire, même si celui-ci a été un peu dévoyé par Orbán qui en a presque fait un régime semi-présidentiel (comme en France par exemple).

Les Hongrois·e·s placeront donc deux bulletins dans l’urne: un pour une liste partisane, Fidesz ou opposition, et l’autre pour un député·e local·e. Sur 199 sièges, 106 sont remplis à travers les circonscriptions électorales locales et 93 le sont à la proportionnelle nationale. C’est ce mode de scrutin, à un seul et unique tour, qui oblige l’ensemble de l’opposition au Fidesz à se rassembler sous une bannière commune: de l’ancien parti d’extrême droite qu’est le Jobbik aux écolos et sociaux-démocrates, en passant par les partis libéraux.

Ce système a également pour particularité d’accorder une lourde prime au vainqueur. Si le Fidesz a obtenu lors des dernières élections un peu moins de 50% des voix, cette prime lui a permis d’obtenir une majorité des deux tiers, donc de gouverner avec les mains libres et tout en pouvant amender la Constitution selon son bon vouloir.

 

Comment et pourquoi l’opposition a-t-elle pu s’unir sous la bannière du conservateur indépendant Péter Márki-Zay?

Lors des mobilisation d’hiver 2018-2019 contre la loi esclavagiste, tous les partis, Jobbik y compris, et les syndicats ont coopéré afin d’essayer de faire échouer la loi. Pour la première fois, il y a eu vraiment une coordination massive et intégrée de toutes les forces d’opposition du pays. Même si le mouvement s’est terminé sur un échec, il a démontré qu’il était possible de travailler ensemble.

Avant ça encore, le Jobbik avait été la cible d’attaques abusives en justice. L’État réclamait une très lourde sanction financière qui aurait mis à mal le parti. Les partis de gauche ont alors manifesté avec le Jobbik devant le quartier général du Fidesz. Ces premiers se sont bien rendu compte que ces poursuites étaient politiquement motivées et qu’ils seraient les prochains sur la liste.

La réunion électorale de l’ensemble de l’opposition est basée sur le constat simple que l’ennemi commun et la véritable menace pour la démocratie hongroise, c’est le Fidesz. En outre, plus l’opposition tergiverse, plus Orbán aura mis en coupe réglée l’économie, les médias et l’État et plus il sera difficile de le déloger du pouvoir. Actuellement, le Fidesz, c’est l’équivalent du parti unique du régime communiste.

En 2014 et 2018, lors des deux dernières élections législatives, les forces anti-Orbán ont subi de très lourdes défaites électorales. Elles n’avaient tout simplement plus d’autres choix.

 

Sous quel programme l’opposition a-t-elle pu se coaliser?

Le programme de l’opposition, c’est toutes et tous contre Orbán. Le principal dénominateur commun entre tous ces partis assez différents, c’est le rejet d’Orbán. L’idée est de rétablir l’État de droit ainsi qu’un jeu démocratique sain, qui permettra par la suite à chaque formation politique de suivre sa voie et au pluralisme politique de reprendre vie.

L’opposition unie compte également taxer à nouveau réellement les hauts revenus et les entreprises, car il faut savoir que la Hongrie est actuellement un quasi-paradis fiscal. Elle projette aussi de refondre le système d’allocations familiales, qui discrimine les familles pauvres ou sans emplois, donc souvent roms. Le maire de Budapest, Gergely Karácsony, qui est un écologiste de gauche, à réussir à inscrire dans le programme de l’opposition l’organisation en cas de victoire d’un référendum sur le prolongement des allocations chômage de trois mois à six ou neuf mois. La coalition anti-Fidesz dispose tout de même d’un début de programme social, même si elle a énormément de mal à le faire entendre, parce qu’elle a relativement peu accès aux médias en dehors d’Internet.

En revanche, je ne pense pas qu’il faille se concentrer sur le candidat commun au poste de Premier ministre Péter Márki-Zay. Même si c’est un conservateur chrétien, ce sont essentiellement les rapports de force au sein parlement qui définiront ce que sera l’opposition en cas de victoire.

 

L’opposition unie a-t-elle la moindre chance de vaincre le Fidesz d’Orbán?

Elle a indéniablement une chance et celle-ci est plus grande qu’en 2018 ou en 2014. La semaine dernière, Márki-Zay a avancé qu’il se donnait à peu près 40% de chance de réussite. C’est peut-être un peu optimiste, mais disons qu’à la louche il a une chance sur trois de gagner. Toute la question va être de savoir, si la très forte inflation grignote les mesures sociales électoralistes du Fidesz ou pas. Cette coalition hétéroclite est porteuse de nombreuses incertitudes, qui jouent en faveur du gouvernement. Orbán dispose deux millions d’électrices·eurs qui le soutiendront religieusement quoi qu’il fasse, néanmoins pour gagner les élections il en faut un peu plus. Tout dépendra des personnes pas convaincues par Orbán, mais qui pourraient voter pour lui, car ne faisant pas confiance à l’opposition pour améliorer leur sort.

 

Comment la gauche magyare a-t-elle pu rejoindre une coalition comprenant le Jobbik, une formation politique volontiers qualifiée de néo-nazie?

Le Jobbik était un parti authentiquement néonazi; c’est clair et net. Je les ai vus à la manœuvre dans les campagnes faire des coups de force dans des villages roms avec leur Magyar Gárda (Garde hongroise), qui était une milice, certes désarmée, mais une milice tout de même. C’était un parti néonazi, anti-homosexuel·le·s et antisémite, mais surtout anti-rom·e·s.

Depuis 2014, la formation — sous l’impulsion de Gábor Vona, son dirigeant historique — a cependant pris ses distances avec son passé. Si elle a compris qu’elle ne prendrait jamais le pouvoir avec des idées aussi extrémistes, il y a à mon avis une certaine dose de sincérité. Le Jobbik était également un mouvement contre-culturel de jeunes qui s’est assagi avec le temps. Faire le coup de poing n’intéressait plus du tout Vona — qui s’est retiré après la défaite de 2018 au profit de Péter Jakab qui suit depuis sa ligne.

Gábor Vona avait également promis que le Jobbik ne discriminera jamais une personne sur la base de sa sexualité ou de son origine ethnique. Désormais le parti est pro-européen, serait même potentiellement enclin à adopter l’euro et voudrait intégrer le Parti populaire européen (PPE), dont le Fidesz a été exclu. Vona a même commencé à souhaiter bonne Hanoucca aux personnes juives. Si ce virage s’est traduit par certaines purges, il ne suffit évidemment pas de gratter beaucoup pour trouver des cadavres dans le placard. J’imagine qu’avant les élections, le Fidesz qui dénonce l’alliance de l’opposition avec ce parti, réussira à déterrer sans trop de mal des photos de telle ou tel député·e effectuant un salut nazi lors d’une soirée ivre il y a dix ans (l’hypothèse s’est d’ailleurs concrétisée entretemps).

Je pense néanmoins que le Jobbik est sincère quand il affirme vouloir chasser Orbán du pouvoir pour rétablir la démocratie, parce qu’il est de fait victime des atteintes à l’État de droit opérées par le Fidesz. Comme les autres formations politiques, il est constamment diffamé dans la presse et a été attaqué par des tribunaux de manière injustifiée.

Du côté de la gauche, cela a évidemment été un dilemme. De nombreuses voix — dont celle de la très respectée philosophe Agnes Heller — se sont élevées pour affirmer que sans la coopération avec le Jobbik, qui est bien implanté dans les campagnes, il est impossible de battre Orbán. Petit à petit, tout le monde s’est rallié à l’idée qu’au vu de la situation politique et qu’étant donné que le Fidesz mène une politique d’extrême droite et que le Jobbik a donné beaucoup de gages, il n’y pas d’autre option. Cela ressemble un peu au scénario israélien, le toutes et tous contre Netanyahu qui a rassemblé une authentique extrême droite avec la gauche.

 

Quel est l’état des forces de la gauche hongroise?

La gauche reste marquée par sa gouvernance tout à fait néolibérale des années 2000. Celle-ci a laissé de côté beaucoup de gens et s’est terminée par une crise politique en 2006, suivie d’une crise économique terrible dont le peuple continu de la tenir pour responsable, ce dont elle est en partie. À l’époque, les banques vendaient comme des petits pains des prêts en francs suisses et quand la crise des subprimes a touché la Hongrie, le pays — du ou de la simple citoyen·ne jusqu’au sommet de l’État en passant par les municipalités — s’est retrouvé en banqueroute et endetté jusqu’au cou avec des crédits irremboursables parce que le forint (la monnaie hongroise) s’était effondré et que le franc suisse était devenu une valeur refuge. Le Fonds monétaire international (FMI) est alors intervenu et un plan d’austérité a été voté par un gouvernement technocratique intronisé par la gauche. Ces évènements, le Fidesz les rappelle en permanence: si vous ne votez pas pour nous, ce sera le retour à l’époque lors de laquelle vous vous êtes fait sucrer votre treizième mois de retraite et vos crédits en francs suisses ont explosé parce que la gauche était acoquinée avec les banques internationales.

Si les différentes formations de gauche sont additionnées, elles représentent moins d’un quart de l’électorat. La gauche hongroise subit de plein fouet le phénomène européen de déclin de la social-démocratie.

Le Parisien week-end, 4 mars 2022

Voyage au pays d'Orban

par Stéphane Loignon

 

Au pouvoir depuis 2010, le premier ministre hongrois Viktor Orban briguera, en avril, un quatrième mandat consécutif. Six journalistes français installés à Budapest reviennent sur la transformation du pays magyar, devenu le laboratoire de la "démocratie illibérale", où l'État est au service du parti majoritaire. Dans une série de reportages et de récits, les auteurs nous emmènent à la rencontre de partisans d'Orban, de migrants syriens en gare de Budapest, du dernier maire communiste du pays, d'une rescapée de la Shoah... Le portrait sur le vif d'une nation complexe.

La Croix.com, 16 février 2022

La Hongrie sous Orban, un livre pour comprendre la Hongrie d'aujourd'hui

par Jean-Baptiste François

 

L’ouvrage collectif, écrit sous la direction de Corentin Léotard, rédacteur en chef du Courrier d’Europe centrale et correspondant de La Croix à Budapest, présente l’état de la Hongrie à un mois et demi des élections générales, le 3 avril.

 

Que sait-on de la Hongrie et des Hongrois ? Les uns gardent en tête un week-end à Budapest, les thermes, les rives du Danube. Les amateurs de politique ont retenu le nom de l’actuel premier ministre, Viktor Orban, l’enfant terrible de l’Europe, chantre de la démocratie illibérale, pointé du doigt par Bruxelles pour ses dérives autocratiques.

 

« Je crois que maintenant tout le monde sait qui je suis », a-t-il lâché samedi 12 février alors qu’il se lançait officiellement dans sa campagne des législatives, paraphrasant le « Vous me connaissez » d’Angela Merkel. La profondeur du pays magyar, elle, reste largement méconnue. La Hongrie sous Orban se charge de faire d’utiles présentations, à un mois et demi des élections générales, le 3 avril.

 

Par-delà d'Orban

L’ouvrage collectif, écrit sous la direction de Corentin Léotard avec l’équipe du Courrier d’Europe centrale, n’est pas une monographie sur le dirigeant hongrois qui brigue son quatrième mandat d’affilée. On n’y trouve pas d’analyse de ses discours, ni d’exégèse sur ses manœuvres politiques. Les éléments biographiques sur son parcours sont peu nombreux. C’est d’ailleurs ce qui fait son intérêt. La figure de Viktor Orban y est présente sans en être le personnage principal.

Le régime néoconservateur qu’il a instauré en douze ans apparaît en creux d’une galerie de reportages et de portraits écrits dans la veine du journalisme narratif. Au fil des pages, la parole est donnée aux soutiens populaires des manifestations progouvernementales, aux élus locaux, aux Roms, agriculteurs, et membres de la communauté juive, divisés sur l’identité nationale.

On sort de la capitale explorer le clientélisme local : les dix villages les plus pauvres du pays ont voté en moyenne à 94 % pour le Fidesz d’Orban. On va à la frontière serbe rencontrer d’anciens camarades déçus, puis on file à Ozd dans l’ancien bassin minier, sur les vestiges du communisme. On se rend enfin compte qu’il existe encore des poches de résistance dans la culture, les médias. Bref, « que la démocratie hongroise respire encore », résume l’épilogue.

 

Racines du présent

Dans presque chacun des récits, une clé est donnée sur une composante du pouvoir d’Orban, avec des retours sur des époques plus anciennes. Le premier chapitre raconte les excès et les mensonges de la période libérale, après la chute du communisme.

Le pays a fini par se retrouver sous tutelle du FMI, de la Banque mondiale et de l’Union européenne, alors qu’en 2006, le premier ministre social-démocrate Ferenc Gyurcsany, le « Tony Blair hongrois », ne peut cacher plus longtemps l’état désastreux des finances d’un pays surendetté. Deux ans plus tard, la crise des subprimes vient aggraver la situation. Du pain bénit pour un retour de flamme nationaliste.

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Radio Judaïca Strasbourg, 13 février 2022

Fréquence Europe

par Olivier Singer

 

Pour réécouter l'émission, cliquez ici.

Le Soir, 11 février 2022

Hongrie: « La seule préoccupation d’Orban, c’est de rester au pouvoir. »

propos receuillis par Marine Buisson

 

Adulé et détesté, Orban marque son empreinte sur la société hongroise depuis plus de dix ans. Pour l’ouvrage « La Hongrie sous Orban », un collectif de journalistes s’est immergé dans cette société diverse, complexe et terriblement vivante.

 

Qui connaît le nom du Premier ministre tchèque ? Roumain ? Ou même Polonais ? » L’interrogation, qui ouvre l’ouvrage collectif La Hongrie sous Orban, est suivie d’une affirmation difficile à contredire : tout le monde ou presque aujourd’hui, connaît le nom du Premier ministre hongrois. A 58 ans, Viktor Orban gouverne la Hongrie d’une main de fer depuis 2010, moment charnière pour le pays qu’il embarque alors dans une «contre-révolution conservatrice ». [...] À l’heure où Orban espère obtenir un quatrième mandat lors des élections d’avril prochain, un collectif de journalistes francophones dirigé par Corentin Léotard, dont fait partie Joël Le Pavous, correspondant du Soir en Hongrie, s’est immiscé au cœur de ce qui fait la société hongroise sous le règne Orban. Une petite vingtaine de radioscopies, de plongées, au sein d’une Hongrie «diverse et vivante», nous raconte notre correspondant.

 

On croise au fil de l’ouvrage la future présidente hongroise, un rockeur abîmé par la vie, des fromagères, un activiste qui s’est inventé journaliste... Que racontent toutes ses personnalités de la vie sous Viktor Orban ?

Pour les personnalités qui résistent au régime d’une manière ou d’une autre, c’est un peu un éloge de la résilience. Des résiliences différentes, qui se répondent : celle de Márton Gulyás, figure de proue du média alternatif Partizan qui, malgré 12 années de sinistrose orbaniste sur les médias et une chape de plomb sur les médias d’opposition tire son épingle du jeu avec peu de moyens, réunit 250.000 abonnés sur YouTube, ce qui est absolument formidable dans un pays de 9,7 millions d’habitants.

Je pense aussi notamment à cette résilience de la part de Róbert Molnár, le maire de Kübekháza, européen convaincu et ancien député en coalition avec le gouvernement d’Orban et qui contre vents et marées, a réussi à ressusciter ce village. Ou encore ces femmes qui ont réveillé leur village en se mettant à la fabrication de fromage.

 

[...]

 

Est-ce que vous êtes parvenus à disséquer les raisons de cette emprise ? De cette popularité ?
Ces rencontres, ce livre, nous ont confir- mé qu’on ne peut pas être dans le mani- chéisme avec Orban: rien n’est tout blanc ou tout noir. Qu’il fait le fier à bras à Bruxelles mais qu’il prend les contri- butions de l’Union européenne. Qu’il va être très offensif contre la communauté LGBTQ+, mais qu’au fond, lui, n’en a pas grand-chose à faire des homo- sexuels. Qu’il va bafouer l’État de droit mais qu’il ne s’agit absolument pas de sa préoccupation principale.
La seule préoccupation d’Orban, c’est de rester au pouvoir, c’est de construire un modèle de société sur le temps long, que le Fidesz a des projets jusqu’en 2030. Il a réussi à remettre la Hongrie au centre du jeu.
C’est un produit, une marque, un phare pour l’extrême droite de Trump à Salvini, Meloni en passant par le Vlaams Belang en Belgique. C’est devenu une icône : une grande figure tutélaire pour ses partisans et un épouvantail pour l’opposition.
Les élections d’avril seront un référen- dum anti-Orban.

RFI, 10 février 2022

Accents d'Europe

par Juliette Rengeval

 

"Les nouveaux visages du populisme d'extrême droite". Réécoutez l'émission ici.

TV5 Monde, 9 février 2022

Le Monde, 9 février 2022

Tenter de mieux comprendre la Hongrie

par Jean-Baptiste Chastand

 

La plupart des Français ne connaissent de la Hongrie que Viktor Orban, son pre­mier ministre nationaliste qui se­ coue l’Europe de l’intérieur, et Bu­ dapest, destination prisée pour un week­end festif ou culturel. A quel­ ques semaines des élections légis­ latives du 3 avril, au cours desquel­ les M. Orban espère bien décro­ cher un quatrième mandat d’affi­ lée, La Hongrie sous Orban est un ouvrage bienvenu pour tenter de mieux comprendre ce pays d’Eu­ rope centrale, devenu «le labora­ toire européen d’une contre­révolu­ tion conservatrice», comme l’écri­ vent les auteurs en préambule.

Rédigé par les jeunes journalistes du Courrier d’Europe centrale, un site Internet qui couvre l’actualité de la région en français, ainsi que par l’ancien journaliste du Monde Daniel Psenny, le livre se présente comme une série de reportages en forme de cartes postales écrites de­ puis divers endroits de la Hongrie.

Plutôt que de se focaliser sur Viktor Orban et ses désormais onze années de recul démocrati­que, les auteurs cherchent d’abord à présenter la Hongrie dans toute sa diversité et sa «complexité».

Avec eux, on voyage avec plaisir dans les communes perdues et dépeuplées du pays, à la rencon­ tre du dernier maire commu­ niste, d’une édile qui dirige une coopérative fromagère à la fron­ tière roumaine ou dans un bas­ tion du Fidesz, le parti de Viktor Orban. On se penche aussi avec détails sur les divisions de la com­ munauté juive, sur le rôle de la photographie dans la construc­ tion de la mémoire collective hongroise, ou l’on suit avec amu­ sement les errances alcoolisées de Zoltan Karnics, chanteur de Psycho Mutants, un groupe de rock à la gloire perdue de Pecs, dans le sud du pays. [...]

Mais le livre est d’abord un cri d’amour à cette « grande plaine hongroise » de la part de journalis­ tes passionnés. Ils ne cachent pas leur admiration pour tous ceux qui résistent avec courage aux multiples pressions du pouvoir.

Le Figaro, 8 février 2022

Esquisse d'une Hongrie complexe et méconnue

par Thierry Portes

 

À la veille des législatives hongroises d’avril, plusieurs journalistes français travaillant dans ce pays, dont la collaboratrice du Figaro Hélène Bienvenu, ont choisi de décrire, par petites touches, cette nation magyare, plus complexe qu’il n’y paraît. Viktor Orban a imposé une grossière peinture dans laquelle il campe la figure de l’illibéralisme national face
au fédéralisme bruxellois. Cet ouvrage impressionniste propose un tableau plus composite, à l’image d’une Hongrie calviniste et catholique, où la culture juive est encore présente, qui peine à se définir entre Orient et Occident, entre le monde communiste d’hier et la mondialisation libérale et, surtout, qui ne sait comment surmonter son passé douloureux.

 

Les auteurs de La Hongrie sous Orban reviennent à la gare de l’Est de Budapest, où s’est brisée la vague des migrants de l’été 2015 ; ils séjournent près du mur aux frontières serbes et roumaines ; ils croisent la destinée de Roms pourchassés par l’extrême droite ; ils évoquent le souvenir de la scène rock de Pécs, les bourgades agricoles qui ne veulent pas mourir, et traînent dans l’ancien bassin minier d’Ozd, où survit une municipalité communiste, comme au bon vieux temps du « socialisme du goulash »...

Partout, l’argent de l’Union européenne construit des routes, des stades et des ponts, rénove des bâtiments et des centres-villes, en finançant des projets traçant un avenir vers l’ouest du continent. Mais Viktor Orban ne veut accepter ce chemin, et a entraîné son pays vers des solutions de traverses, rabaissant les exigences démocratiques européennes pour mieux flirter  avec Moscou et Pékin.

L’« orbanisme » a véritablement  commencé en 2010, au moment où la Hongrie passait sous le seuil symbolique des 10 millions d’habitants. « Les grands pays ne connaissent pas ce sentiment de pouvoir disparaître, mais ici il est très présent », confessait alors le leader hongrois, qui rêvait d’un renouveau magyar.

Dix années plus tard, la Hongrie a retrouvé sa santé économique, mais son avenir demeure incertain.
Car c’est surtout à la réécriture du passé que Viktor Orban s’est attelé. En 2014, au cœur de Budapest, est ainsi apparu un lourd monument « représentant l’Allemagne comme un aigle terrifiant attaquant par-derrière une Hongrie innocente incarnée par l’ange Gabriel ». Voilà comment, écrit le journaliste qui a accompagné Katalin Sommer sur les traces de son passé de gamine juive fuyant les Croix fléchées hongroises, parti collaborationniste et antisémite, à l’hiver 1944,  le gouvernement d’Orban « cherche à dédouaner le pays de toute responsabilité dans la Shoah ». Face à l’aigle nazi, des citoyens ont érigé un « contre-mémorial », pour témoigner de ce qui s’est passé dans le ghetto de Budapest.

Sur ce sujet comme sur d’autres, les auteurs de La Hongrie sous Orban mènent l’enquête sans manichéisme, et souvent avec élégance.

Sud Ouest Dimanche, 6 février 2022

Viktor Orbán et l'imaginaire hongrois

par Étienne Millien

 

Dans La Hongrie sous Orbán, des journalistes français dressent le portrait d’un peuple et d’une nation dominés par un seul homme, à la tête de son pays depuis douze ans.

 

Que connaît-on vraiment de la Hongrie, depuis notre Hexagone ? Le goulash pour les gastronomes, Franz Liszt chez les mélomanes, Ferenc Puskás parmi les sportifs, l’ascendance de Nicolas Sarkozy chez les amateurs de politique, rien ou presque, à part le nom de Viktor Orbán, le Premier ministre du pays depuis plus d’une décennie. Une notoriété éloquente. Qui peut nommer ses homologues à la tête de la Roumanie, la Serbie ou la Slovaquie voisines ?

L’aura de Viktor Orbán est unique, fondée sur un imaginaire qu’il a lui-même façonné dans un mélange de populisme nationaliste, d’interventionnisme et de libéralisme, des contradictions mises en lumière par cette série de reportages de journalistes français installés dans le pays.

 

« Ils sont où, les socialistes ? »

Lancée dans la transition démocratique dès la chute du Rideau de fer, la Hongrie d’aujourd’hui menace les droits de ses minorités, « comme s’il y avait un dieu pour les Roms et un autre pour les Hongrois ». Le portrait est celui d’un pays déséquilibré qui préfère s’accrocher à une idéologie plutôt qu’assumer son rôle dans l’Europe moderne. Un pan entier des médias y a été mis en coupe réglée par le pouvoir et ses alliés. La liberté de la presse y est bafouée. Des amis d’Orbán ont fait fortune grâce à des privatisations, là où la population souffre d’une économie incapable de distribuer également les richesses.

 

La faute à qui ? À l’Europe évidemment ou aux ennemis extérieurs et intérieurs, les Soros et consorts... [...] « Ils sont où les socialistes et les autres ? » interroge-t-on dans la ville de Piskó (à quelques dizaines de kilomètres de la frontière croato-serbe), qui a voté à 100 % pour le pouvoir en place aux dernières élections.

 

Comme le veau sous la mère

Même l’héritage historique sert un récit national. Les actes héroïques pour sauver les Juifs du pasteur Gábor Sztehlo et du diplomate suédois Raoul Wallenberg, illustrent l’époque où la Hongrie voit son destin lui échapper. La Constitution adoptée sous Orbán en 2012 affirme que « le rétablissement de l’autodétermination perdue le 19 mars 1944, a eu lieu le 2 mai 1990 ».
 

Le pays actuel ne serait véritablement né qu’il y a trente ans, juste avant la naissance du Fidesz. « Une interprétation mensongère et très commode des faits », avance l’un des auteurs.

Ainsi, la Hongrie est sous Orbán comme le veau sous la mère, abreuvée d’une histoire qui sert des intérêts personnels ; un chant étriqué pour une grande plaine adossée aux Carpates et qui a vu passer Huns, Ottomans, Habsbourg, Soviétiques pour finalement se tourner vers l’Ouest. Cette série de reportages raconte le pays tel qu’il a été modelé, alors qu’une coalition nationale s’apprête à affronter Orbán en avril prochain, pour essayer de changer la donne.

Slate.fr, 4 février 2022

La nuit où Robika, 5 ans, a été assassiné

par Hélène Decommer

 

Bonne feuilles : le 23 février 2009, dans un village de Hongrie, trois skinheads mettent le feu à la maison d'une famille rom avec pour projet de tirer sur tous ceux qui en sortiront.

LH Le Mag, février 2022

L'Orbite d'Orbán

par Sean Rose

 

Réunis sous la direction de Corentin Léotard, et avec Le Courrier d’Europe centrale, ces textes témoignent de la Hongrie sous l’illibéral Viktor Orbán.

 

Il n’y a pas qu’en France qu’il y aura des élections au printemps. En Hongrie aussi. Des élections et un candidat à sa propre réélection. Le Français, quoiqu’encore non déclaré, on connaît son nom, le Hongrois rappelons le sien : Viktor Orbán. De tous les dirigeants de ces pays d’Europe de l’Est naguère sous joug soviétique, il est le plus connu, comme le rappelle l’avant-propos de La Hongrie sous Orbán, ouvrage collectif dirigé par Corentin Léotard, avec Le Courrier d’Europe centrale. La notoriété du Premier ministre hongrois et chef de l’Alliance civique hongroise, alias Fidesz, est liée à ses déclarations provocatrices et sa visionillibérale de la démocratie, qui le range dans le camp des populistes de droite, voire d’extrême-droite, comme Donald Trump ou Marine Le Pen.

Le 21 janvier 2012, « une vague humaine déferle sur Budapest » pour le soutenir. Viktor Orbán « se trouve [alors] sous le feu croisé de l’Union européenne et des États-Unis, inquiets des premiers reculs démocratiques décelés en Hongrie. » La nouvelle Constitution aux infléchissements nationalistes semble largement plébiscitée. 400 000 manifestants selon le ministère de l’Intérieur, plutôt 100 000 pour l’agence de presse hongroise. N’empêche... Outre des pancartes avec « Viktor, nous t’aimons », le slogan le plus saillant est : « Nous ne serons pas une colonie. » Traduire : nous voulons reprendre notre destin en main.

Membre de l’UE depuis les années 1990, « eldorado libéral » dans les années 2000, la Hongrie avec Orbán entend être le fer de lance de la contre-révolution conservatrice. Pourtant le Fidesz n’avait pas commencé comme ça, s’en désole József Kardos. Il a été l’un des fondateurs de ce parti, qui fut à l’origine un mouvement étudiant, formé d’exclus des Jeunesses communistes, de centre gauche, anticlérical et prodémocratie libérale. József est gay. Aujourd’hui le programme est libéral conservateur, anti-immigration, hyper-nataliste... Et Orbán, à l’instar de Poutine, vient de faire adopter des mesures « contre la promotion de l’homosexualité ». Que signifie le phénomène Orbán ? Et le dirigeant magyar est-il aussi populaire qu’il y paraît ? Éléments de réponse avec cette enquête de terrain passionnante, avant l’issue des élections, où Orbán briguera son quatrième mandat...

RTBF, 2 février 2022

Hongrie : un livre pour comprendre comment l’orbanisme a changé la vie des Hongrois

par Jean-François Herbecq

 

Réécouter la chronique de Jean-François Herbecqdans l'émission "Tout un monde" sur la RTBF ici.

 

Deux mois avant des élections législatives à suspens, une demi-douzaine de journalistes sous la direction de Corentin Léotard, rédacteur en chef du Courrier d’Europe centrale et correspondant de La Libre Belgique, tracent dans un ouvrage collectif le portrait de la Hongrie, véritable laboratoire politique à ciel ouvert du national populisme.

Les Hongrois élisent leur parlement le 3 avril et la grande question c’est de savoir si Viktor Orban, le Premier ministre qui se présente comme le chantre de la contre-révolution conservatrice, va garder ou non sa super majorité. Face à lui, l’opposition s’est unie pour une fois : elle présente un candidat unique, Peter Marki-Zai, lui aussi au profil assez conservateur ce qui devrait plaire à l’électorat hongrois, mais avec l’inconvénient de constituer un attelage hétéroclite qui va de l’extrême droite vaguement recentrée aux socialistes.

Pour mieux comprendre cette Hongrie qui est à la croisée des chemins, voici un ouvrage intitulé La Hongrie sous Orban, car c’est bien un recueil de récits glanés aux quatre coins du pays qu’on nous propose, donc pas d’analyse de politologues mais plutôt une vingtaine d’histoires qui décrivent cette Hongrie sous Orban. Une galerie de portraits de ceux qui adhèrent au régime et de ceux qui s’y opposent, simples citoyens, gagnants et perdants du système Orban.

 

Un des premiers chapitres nous ramène à ce moment de paroxysme de la crise des migrants à Budapest. C’était à la fin de l’été 2015. La situation est terrible devant la gare Keleti, la gare de l’Est, la principale de la ville : des centaines, des milliers de réfugiés qui attendent. Des Syriens surtout. Trans migrants, bloqués sous un soleil de plomb. Ils ont pu pénétrer en Hongrie, illégalement, mais étrangement, les autorités hongroises qui n’en veulent pas refusent de les laisser partir vers l’Autriche et l’Allemagne où ils disent vouloir aller.

 

Corentin Léotard se souvient de ces scènes, de quelques rencontres avec des migrants. "Parmi ces réfugiés, il y a Ahmad, 22 ans, qui a pris la route de l’exil avec un copain. Il espère pouvoir rejoindre une partie de sa famille, installée à Berlin, et s’inscrire à la fac. Il a quitté Damas il y a vingt-cinq jours. Ses parents lui transfèrent de l’argent, via Western Union, le long du périple. Il a explosé le budget : il a dépensé 2500 dollars jusque-là, dont 1700 lâchés à un passeur pour parcourir 200 kilomètres qu’il aurait pu faire en train gratuitement ou pour quelques euros, entre Belgrade, la capitale de la Serbie, et la frontière hongroise. Une énorme arnaque. Ahmad raconte : 'On s’échange des infos avec les copains qui sont déjà passés avant nous, via WhatsApp, mais franchement, pour le moment, rien ne s’est passé comme on nous l’avait dit !'"

Finalement ils partiront, certains à pied, la plupart en bus, que les autorités hongroises se décident à mettre à leur disposition. Au total, 400.000 personnes sont passées par la Hongrie cette année-là.

Des barbelés, des utopies et du rock

 

Cette crise migratoire de 2015 donne le "la" à la période orbaniste : le Premier ministre hongrois fait de la fermeture des frontières, de la défense d’une Europe chrétienne face à des migrants musulmans plus qu’un thème de campagne. Il a même réussi à imposer la question au niveau européen, il n’y a qu’à voir ce qui vient de se passer à la frontière avec la Biélorussie : la Pologne a aussi dressé des clôtures.

 

Ces barbelés, on les retrouve dans un autre chapitre du livre, en bordure de cette petite bourgade collée aux frontières serbes et roumaines mais complètement isolé. Un village en cul-de-sac décrit par Hélène Bienvenu et Joël Le Pavous : "Allées soignées où flottent aussi bien le drapeau européen, le tricolore magyar, que l’écusson de la ville ; coquette place centrale bercée par les clapotis d’une fontaine ; arrêt de bus qui transporte jusque dans les alpages de Heidi ; proprette église du 19e siècle." Un portrait de village avec en miroir celui de son maire : "Depuis 2002, Róbert Molnár, "Robi " pour les intimes, est rapidement passé expert en appels d’offres européens, sa seule béquille financière, faute de bénéficier des largesses de l’exécutif. Pis, assène Róbert Molnár, le Premier ministre Viktor Orbán 'laisse les municipalités presque sans ressources financières propres, de quoi les mettre à sa merci. L’autre jour, la maire d’un village voisin m’a confié ne pas être sûre de pouvoir aider à financer un enterrement à hauteur de 150 euros. Ce n’est pas ce dont nous rêvions à la chute du régime communiste', soupire l’édile".

 

Un autre chapitre revient sur les crimes racistes anti rom qui ont défrayé la chronique il y a une bonne dizaine d’années, et puis il y a toute une série de portraits comme avec cette espèce d’utopie, Gaudiopolis, la République des enfants, née en 1944 sur les décombres de la guerre et de la Shoah qui a recueilli les orphelins de guerre, juifs ou non juifs d’ailleurs.

 

Il y a des témoignages poignants comme cette rescapée des camps ou encore ce rocker au grand cœur, un peu paumé mais terriblement humain et haut en couleur. Clairement pas du côté des gagnants, explique Corentin Léotard : c’est quelqu’un qui ne se retrouve pas dans Orban mais préfère se replier sur lui-même, les amis, son groupe de rock…

 

On évoque tout de même un peu la politique, par le petit bout de la lorgnette: il y a une interview avec celle qui sera bientôt la future présidente du pays. Katalin Novak, le récit d’une trajectoire fulgurante, celle d’une fidèle à Viktor Orban, 45 ans à peine et brillante.

 

Il y a aussi cette rencontre avec le patron de l’école de journalisme du Collegium Mathias Corvinus, un "collegium" c’est une institution qui dépasse le cadre de l’université. Ce sont des cours, plus de l’encadrement de haut niveau, le logement, de la pratique, bref, de quoi former l’élite de demain, une élite façonnée par le régime d’aujourd’hui.

 

Il y a aussi le portrait du dernier maire communiste qui se dit marxiste mais pense souvent comme Orban en applaudissant par exemple ses mesures de soutien aux familles destinées à endiguer l’exode des jeunes.

 

Un pays corseté mais où la démocratie respire encore

 

La grande question qui traverse ce bouquin, c’est évidemment de savoir si la Hongrie sous Orban est encore une démocratie ? Viktor Orban, inventeur du concept de démocratie illibérale passe son temps à critiquer les démocraties libérales, les libéraux, accusés d’être responsables du déclin de l’occident. Il est effet au pouvoir depuis 2010, déjà 3 mandats d’affilée, 4 en tout, et depuis 12 ans, il a transformé le paysage politique de la Hongrie.

Il a verrouillé tous les postes clés, redessiné les circonscriptions, fait voter les Hongrois de l’étranger, il contrôle complètement la presse, les médias publics mais aussi les organes de presse privés via ses alliés.

 

Corentin Léotard rappelle toutefois que la police reste peu visible, que la liberté d’expression reste garantie, même si certains groupes sociaux comme les roms, les homosexuels, les ONG sont cibles d’attaques régulières. On peut parler de propagande permanente.

 

L’orbanisme a donc la mainmise sur la société, l’économie et les médias mais à côté de cela, il y a aussi des gens qui se battent ; et on les découvre aussi dans ce livre, comme cet activiste blogueur qui a créé une chaîne YouTube incontournable en Hongrie, ou ces cinéastes qui filment et créent envers et contre tout, ou ces archivistes en ligne de la photographie historique qui interrogent ainsi le passé de la Hongrie.

Au final, c’est le sentiment d’un pays corseté mais où la démocratie respire encore qui ressort de cet ouvrage en français qui sera peut-être traduit un jour en hongrois, preuve qu’il y a encore moyen d’écrire librement sur ce pays…

Radio Canada, 9 janvier 2022

La Hongrie sous Orban

par Frank Desoer

 

Entretien avec Corentin Léotard. Réécoutez l'émission ici.

France Culture, 5 janvier 2022

Enjeux internationaux

par Julie Gacon

 

Corentin Léotard invité pour parler des élections législatives d'avril 2022, à réécouter ici.

Littérature du réel, enquêtes, essais, histoire.

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